1755-10-10, de Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes à Marie Louise Denis.

Je ne crois point, Madame, avoir donné lieu à m. de Voltaire de penser que je l'accusois d'avoir fait faire l'édition de l'histoire des campagnes du roy dans le tems même qu'il en demandoit la suppression.
J'ay encore moins imaginé que ce fût l'appas de 25 louis qui l'eût engagé à une si mauvaise manœuvre. Je peux même vous attester qu'il n'y a rien sur cela dans les informations qui sont venues à ma connoissance. On ne doit pas se permettre de former de pareils soupçons légèrement et sans preuve. Tout ce dont je me suis plaint est de me trouver meslé dans une tracasserie où je ne devois estre pour rien. Les lettres que j'ay pu vous écrire ainsi qu'à m. de Voltaire ne roulent que sur cet objet. Telles qu'elles sont je ne les aurois pas écrites si vous ne m'aviés pressé de m'expliquer sur une conversation que j'avois eue avec m. votre frère. Ainsi, Madame, je vous prie de trouver bon que nous en restions là, et que nous regardions toutes les explications comme terminées.

Ce que vous me mandés de l'impression que fait sur m. de Voltaire ma façon de penser est trop flatteur pour que je puisse le croire. Mais je peux vous assurer que le public seroit bien prévenu en sa faveur, si tout le monde désiroit autant que moy d'estimer la personne de ceux dont on estime les ouvrages. Malheureusement les grands talens et les grands succès ne font pas le même effet sur toutes les âmes. Ce qui a produit le triomphe à Rome avoit produit l'ostracisme à Athenes -- mais quel que soit la malignité de bien des gens on en triomphe à la fin quand on n'y donne aucune prise bien fondée, et je crois que la conduite la plus simple et la plus unie est le meilleur moyen de détruire la calomnie.

Je suis avec respect, Madame.