à Rouen Ce samedi [3 Xbre 1735]
Vous êtes charmant mon cher ami, agréable dans vos vers, aimable et flatteur dans votre prose, judicieux et de Bon goût dans votre critique.
Revenés donc Bien vite pour que nous nous entretenions de tout cela. J'avois déjà fait quelques corrections, additions, à mon épître et cela est parti pour Cirei. J'ay profité autant que j'ay pu de vos avis. Nous verrons toutes ces drogues ensemble.
Il faut absolument empêcher L'entreprise de Dumoulin et je vous conseille d'en écrire plutôt que plus tard à Voltaire, mais si cette Rage d'imprimer Luy continuoit et qu'il Regarda comme à Luy apartenant Les pièces qu'il auroit escamotées au moins que Les noms ne paroissent pas. Le plus sûr et sur quoy vous devés insister c'est que Rien de nous ne soit imprimé.
Je suis très fâché de L'accident de Pinant. Je n'y vois pas de Remède. Si je pouvois L'y servir il n'auroit qu'à dire et m'en indiquer Les moyens.
Je viens de Lire dans Les observations une épitre fort jolie de Voltaire à un Italien nommé Algarotti que je connois. C'est un jeune vénitien, homme de condition et d'esprit, qui fait Bien des vers en sa Langue dont il y en a d'imprimés, et qui de plus est fort Bon géomètre. Il va avec Maupertuis et Clairaut en Laponie pour attraper la figure de la terre pendant que d'autres sont en Amérique pour découvrir cet important secret. C'est sur ce voyage que Roule l'épitre.
Je n'ay point Reçu votre lettre où vous me marqués avoir Reçu le 3e acte de La mort de Cæsar. Je n'en suis pas pressé, je vous demandois si vous aviés Les 2 premiers. Il faudroit Les avoir.
Me voilà à Rouën qui est fort Languissant à son ordinaire et où cependant, non pas Les amusemens mais les distractions me déroutent de mes petites occupations Littéraires. Je vivois à La campagne avec Virgile, Horace, Despreaux, Racine et c'est Là ce me semble assés Bonne Compagnie. Ce qui vous étonnera C'est que je n'ay Rien trouvé à Rouën qui Ressemble à cela. Qui peut vous empêcher au pais de Caux de faire parler Anacreon mieux que Luy même? Il est vray que vous n'êtes pas entouré de mirtes et de Roses, et que des Buissons et des toits de chaume sont d'étranges objets pour exciter une muse qui ne doit peindre que des fleurs, mais votre imagination saura Bien Créer une nature plus agréable que celle qui vous environne. Adieu mon cher amy, je vous embrasse de tout mon cœur assurément.