1755-09-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange tout malade que je suis, j'ay lu avec attention le grand mémoire sur l'orphelin.
J'en fais les plus sincères remerciments au chœur des anges, mais les forces et le temps me manquent pour donner à cet ouvrage la perfection que vous croyez qu'il mérite, et du moins les soins que je luy dois après ceux que vous en avez daigné prendre. Je crois que le mieux serait de ne pas reprendre la pièce après Fontainebleau, de gagner du temps, de me laisser celui de me reconnaitre. Songez que je n'ay ny santé ny receuillement d'esprit. Cette cruelle avanture de l'histoire de 1741, l'injustice de Mr de Malzerbe, ses discours offensants et si peu méritez, six mille copies mss répandues dans Paris d'un ouvrage tout falsifié et qui me fait grand tort, tant de tribulations jointes aux souffrances du corps, des ouvriers de toutte espèce qu'il faut conduire, un voiage à mon autre hermitage qu'il faut faire, tout m'arrache àprésent à l'orphelin, mais rien ne m'ôtera jamais à vous. Tâchez je vous en prie que les comédiens oublient l'orphelin cet hiver, mais ne m'oubliez pas. Vous ne m'aimez que comme faiseur de tragédies, je ne veux pas étre aimé ainsi. Vous ne me parlez point de vous, de votre vie, de vos amusements. Vous ne me dites point si vous êtes aussi mécontent que moy de Cadix, si vous avez été à la campagne cet été. Vous ne savez pas que vos minuties sont pour moy essentielles, il faut que vous me parliez de vous davantage si vous voulez que je sois mieux avec moi même.

Adieu, je vous demande toujours en grâce de faire lire à mr de Tibouville ce que vous savez.