1755-09-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Élisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian.

Je suis pénétré de tout ce que vous faites, ma chère nièce. On a travaillé pendant mon absence à rendre la pièce moins indigne du public. On a pu la raccommoder, on a pu la gâter. Cela prouve qu'il ne faut jamais donner des tragédies de si loin, et que les absents ont tort. Il est certain que si on imprimait la pièce dans l'état où elle est aux représentations on la sifflerait à la lecture. Mais c'est là le moindre des chagrins qu'il faut que j'essuie. Ils sont tous bien adoucis par vos soins, par vos bontés, par votre amitié. Tout ce que je demande demande c'est qu'on me laisse mourir tranquille dans l'asile que j'ai choisi, et que je puisse vous y embrasser avant de mourir

Nous avons ici un médecin, mr Tronchin, beau comme Apollon et savant comme Esculape. Il ne fait point la médecine comme les autres. On vient de 50 lieues à la ronde le consulter. Les petits estomacs ont grande confiance en lui. Ce sera, je crois, votre affaire, si jamais vous avez le courage et la force de passer nos montagnes.

Votre sœur ne m'a avoué qu'aujourd'hui sa tracasserie avec Chimène. Cette nouvelle horreur d'elle me plonge dans un embarras dont je ne peux plus me tirer. Je suis trop malade et trop accablé pour travailler à notre orphelin. Je me résigne à ma triste destinée, et je vous aime de tout mon cœur.