4e xbre 1765 à Ferney
Voulez vous savoir, Monsieur, l'effet que fera Virginie?
Envoiez la nous. S'il y a deux rôles de femme, je vous avertis que j'ai chez moi deux bonnes actrices, l'une ma nièce Denis, l'autre ma fille Corneille; j'ai deux ou trois acteurs sous la main qui ne gâteront point vôtre ouvrage; nous serons cinq ou six spectateurs, tous gens discrets; soiez sûr que la pièce ne sortira pas de mes mains, et que les rôles me seront rendus à la fin de la représentation.
C'est à mon sens la seule manière de juger d'une pièce de théâtre. J'ai toujours ouï dire que Despreaux qui était le confident de Racine et de Molière, se trompait toujours sur les scènes qu'il croiait devoir réussir le plus, et sur celles dont il se défiait; or jugez, si Despreaux se trompait toujours dans Auteuil près de Paris, ce qui m'arriverait à Ferney au pied du mont Jura. Je crois qu'il faut voir les choses en place pour en bien juger.
Je me flatte qu'en éffet, Monsieur, vous pourez nous donner les violons dans nôtre enceinte de montagnes; on nous assure que madame vôtre sœur doit acheter une belle terre dans mon voisinage; vous y viendrez sans doute. Le plaisir de vous entretenir augmentera s'il se peut encor, l'estime que vos lettres m'ont inspiré; mais dépèchez vous; car ma mauvaise santé m'avertit que je ne serai pas Doyen de l'académie française. Je vous donne ma voix pour être mon successeur à moins que vous n'aimez mieux choisir selon l'ordre du tableau.
Vous me parlez de la meilleure édition de mes sottises. Il n'y en a point de bonne, mais j'aurai l'honneur de vous envoier la moins détestable que je pourai trouver.
Permettez mois de vous embrasser tout comme si j'avais déjà eu l'honneur de vous voir.
V.