1763-01-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Joseph Thoulier d'Olivet.

Mon cher et gros et respectable sous doyen, soyez très sûr que je mets en pratique vos belles et bonnes leçons.
Je n'ay pas votre santé, je n'en ai jamais eu, mais mon régime et la guaité. Votre doyen peut me rendre témoignage; c'est luy qui donnerait des leçons de gaité à vous et à moy. Je l'ay trouvé plus jeune que je ne l'avais laissé. Vivez cent ans messieurs les doiens, et donnez moy votre recette. Vos séances académiques vont être plus agréables que jamais avec l'abbé de Voisenon qui est très aimable et très gay. Je vous réjouiray dès que les grands frais seront passez, par l'envoi de l'Heraclius espagnol. Il est bien plus plaisant que le César anglais. Qui croirait que deux nations si graves fussent si boufonnes dans la tragédie! Nous en sommes au septième tome de Pierre Corneille, et il y en aura probablement douze ou treize. J'ay été sur le point de faire un ouvrage qui m'aurait plu autant que Cinna, c'était le mariage de Melle Corneille, mais comme le futur ne fait point de vers, le mariage a été rompu. Si vous connaissez quelque neveu de Racine envoyez le moy au plus vite et nous conclurons l'affaire. Mais je veux que vous soyez de la noce, et comme je vous crois prêtre, vous ferez la célébration. Je vous avertis que notre petit pays est la plus jolie chose du monde. Tout le monde y vient, tout le monde s'y établit; le prince de Virtemberg a tout quitté, pour venir s'établir dans le voisinage. Vous n'êtes pas assez courageux pour revoir votre patrie. Fy! que cela est peu philosophe! C'est avec douleur que je vous embrasse de si loin. Serez vous assez aimable pour présenter mon respect à l'académie?

Volterius