21 janvier 1765, au château de Ferney
Monsieur,
Je vous supplie de vouloir bien présenter mes respects à l'Académie; j'y ajoute mes regrets de n'avoir pu assister à ses séances depuis dix ans; mais un vieux malade ne peut guère se transplanter. Si vous êtes mon doyen académique, je crois que j'ai l'honneur d'être le vôtre dans l'ordre de la nature. Je crois qu'elle vous a traité mieux que moi; vous écrivez de votre main, & c'est ce que je ne puis faire. Vous voyez toute votre aimable famille prospérer sous vos yeux, & moi je n'ai pas l'honneur d'avoir des enfants. Mad. Denis qui m'en tient lieu, vous fait les plus sincères compliments.
Il y a bien des fautes dans le Corneille que j'ai eu l'honneur de présenter à l'Académie. Cet ouvrage aurait dû être imprimé à Lyon plutôt qu'à Genève. Corneille aurait été une des meilleures étoffes de vos manufactures. Elle durera quoiqu'ancienne, & quoique j'y aie mis une bordure. Pour moi, je ne m'occupe qu'à planter des arbres dont je ne verrai pas l'ombrage; j'ai trouvé que c'était là le sûr moyen de travailler pour la postérité.
J'ai eu le bonheur de voir quelquefois messieurs vos fils dans la petite chaumière que j'ai bâtie, & dans les petites allées que j'ai alignées. Mon bonheur eût été complet si j'y avais vu le père.
J'ai l'honneur d'être très respectueusement,
Monsieur,
Votre très humble, &c.
Voltaire