à Ferney 30e 8bre 1777
J'ai eu l'honneur, Monsieur, de voir Monsieur Vôtre fils, qui est très digne de son père.
J'aurais bien voulu le mieux recevoir, mais il a bien voulu pardonner à un vieillard qui n'a plus que la cendre du feu que vous allumiez autrefois par vôtre conversation toujours brillante, et toujours intéressante. Madame Denis lui a fait mieux que moi les honneurs de la maison, mais non pas de meilleur cœur. Ce cœur est tout ce qui me reste. J'ai perdu l'imagination et la pensée, comme j'ai perdu les cheveux et les dents. Il faut que tout déloge pièce à pièce, jusqu'à ce qu'on retombe dans l'état où l'on était avant de naître. Les arbres qu'on a plantés demeurent, et nous nous en allons. Tout ce que je demanderais à la nature c'est de partir sans douleur; mais il n'y a pas d'aparence qu'elle me fasse cette grâce après m'avoir fait souffrir pendant près de quatre vingt quatre ans. Encor faut-il que je la remercie de m'avoir donné l'éxistence, et de m'avoir procuré la consolation de vous voir dans ma chaumière Mon seul bonheur à présent est de me flatter que vous vous souvenez de moi.
V.