1761-06-17, de Pierre Joseph Thoulier d'Olivet à Voltaire [François Marie Arouet].

J'attendois avec empressement la réception du Prince Louis pour vous écrire, Mi charissime, en vous envoyant son discours.
Mais il a voulu s'acquitter lui-même de ce devoir académique. Il a les grâces et la politesse des Rohans, il est jeune, cinq cents mille livres de rente en perspective. Tout bien considéré, ne vaut-il pas un abbé le Blanc, ou tel autre qu'on seroit allé nous chercher je ne sais où? Car je suppose qu'il y ait demain une élection à faire, et que Monsieur le Directeur nous dise, Utinam, Quirites, virorum doctorum atque innocentium copiam tantam haberetis, ut hic vobis deliberatis difficilis esset, quemnam potissimùm eligendum putaretis: s'il vouloit ajouter, comme dans l'oraison pro lege Manilia, Nunc verò eùm sit unus&c. Qui seroit cet unus? Mes foibles yeux ne le découvrent ni dans la ville ni dans les faubourgs. Ainsi, dans l'éloge que vous faites de notre siècle, la restriction pourroit ne pas se borner au libraire qui a imprimé l'appel aux nations, et il me semble qu'aujourd'hui les fautes des Auteurs sont bien aussi communes que celles des Imprimeurs. Pourquoi n'userois-je pas des droits de mon âge, Laudator temporis acti? Je crois pourtant que j'aurois encore plus de plaisir à louer le temps présent, et je l'éprouve quand l'occasion s'en présente. Par exemple, et sans aller plus loin, j'ai été charmé de votre lettre au Duc de la Valliere, où se trouve un adroit mélange du badinage et du sérieux, utile dulci. Amyot le précurseur des bons écrivains avoit fait connoitre en partie les grâces de notre langue, mais elle retomba sous le règne d'Henri IV, et je conviens avec vous qu'elle doit sa gloire au grand Corneille, pourvû, cependant, que vous ne dédaigniez pas de lui associer Balzac. J'ai fait compliment à l'Académie sur votre projet, digne de vous et d'elle, d'illustrer Corneille par des notes grammaticales et critiques. Puisse l'exemple que vous donnerez, être suivi. Mais pour cela il faut des gens qui veuillent réfléchir, et qui sachent quelquefois douter. Vous avois-je menti en vous disant que l'archidiacre étoit un bon petit bonhomme qui court après les moyens de clarescire, mais sans qu'il entre dans son cœur que ce soit magnis inimicitiis. Je lui rendis exactement votre lettre, bien et dûment cachetée, sans me vanter de l'avoir lûe. Je doutai qu'il en fît part à personne. Mais je fus bien-tôt désabusé. Il la porta en triomphe dans toutes les maisons de sa connoissance. Il en donna des copies, et la voilà imprimée. Tout le monde en a ri, comme de raison, hors notre homme qui prend tout du bon côté, et qui même distribue l'imprimé de votre lettre avec sa réponse en date du 10 Mai. Je vous cite mon exemplaire. Car il faut, dans les choses importantes, avoir preuve en main.

Il y a près d'une heure que je vous ennuie. Allez vous divertir, voyez des moutons qui sont à vous, et des arbres que vous avez plantez. Pour moi, faute d'en pouvoir faire autant, je vais de pas aux Tuilleries. Si messis, in horto.

Mes honneurs à Madame Denys. Je n'ai plus à la gronder, car je crois que c'est à elle que nous devons votre portrait.

O.