1767-01-03, de Pierre Joseph Thoulier d'Olivet à Voltaire [François Marie Arouet].

Bonjour, mon illustre Confrère, bon jour et bon an.
N'est-ce pas ainsi que nos anciens Gaulois s'écrivoient à pareil jour? Et pourquoi changerions-nous de style? Mais savez vous dans votre pays, que nous avons ici un froid qui rappelle l'idée de 709? Il me rappelle de plus, à moi, une autre idée. C'est qu'alors nous grelotions au coin d'un méchant feu, et qu'aujourd'hui nous nous tenons au coin d'un bon feu. Alors vous étiez mon disciple, et aujourd'hui je suis le vôtre. Alors je vous aimois, et vous ne me haïssiez pas. A cet égard, rien de changé, au moins de ma part, et je serois tenté de répondre aussi pour vous. Je voudrois pouvoir également répondre de votre santé comme de la mienne. Je me porte à un rien près comme en 709. Je bois assez bien, je mange de même, je dors encore mieux. Que je serois charmé si vous m'en pouviez dire autant. Mais il n'y a pas d'année qu'on ne vienne cinq ou six fois me tenir des propos qui ne vous font pas le même honneur. Allons, mon ancien et cher ami, sacrifions tout à notre santé, dont la gaieté est la cause ou l'effet. Que les d'Alembert et les Mairans décident lequel c'est des deux. Peu m'importe, pourvû que j'en jouïsse. Les hommes, j'ai vêcu assez pour les connoître, les hommes vaudroient-ils la peine que je perdisse un moment pour eux? Qu'estce que la gloire qui me viendra d'eux? Moins que rien, par rapport à mon bonheur. Qu'est-ce que les chagrins dont ils me menacent, si je veux obtenir la gloire? C'est quelque chose de réel, et qui, grâce à ma foiblesse, peut m'empêcher d'être heureux. Je passe ma vie, ante focum, si frigus erit, avec Virgile, un Terence, un Molière, un Voltaire, et les six mois prochains, si messis, in horto, aux Tuileries, dont je suis à quatre pas.

Voulez-vous bien faire mille et mille complimens de ma part à madame Denis? Et pour vous montrer que je me souviens encore du Pro Marcello, je vous dirai, Unde est orsa, in eodem terminetur oratio. Bonjour et bon an.

l'abbé d'Olivet

Je vais porter ceci à notre féal d'Argental.