23 novemb. 1753
Mon aimable nièce, j'étais bien malade quand votre sœur avait l'honneur d'être entre les mains du premier médecin du roi très chrétien.
Je crois que nous avions encore, made Denis et moi, un peu du poison de Francfort dans les veines. Mais je crois aussi notre chère Denis un peu gourmande; et l'on raccommode avec du régime ce que les soupers ont gâté. Mais chez moi on ne raccommode rien, parce qu'il a plu à la nature de me donner l'esprit prompt et la chair faible.
Vous vous portez donc bien, ma chère nièce, puisque vous avez la main ferme et libre, et que vous êtes devenue un petit Callot, un petit Tempest. Je me flatte que vos dessins ne sont pas faits pour un oratoire, et qu'ils me réjouiront la vue. Dieu bénisse une famille qui cultive tous les arts. Je serai enchanté de vous embrasser: mais où, et quand?
Peignez vous d'après le nu, madame, et avez vous des modèles? Quand vous voudrez peindre un vieux malade emmitouflé, avec une plume dans une main et de la rhubarbe dans l'autre, entre un médecin et un secrétaire, avec des livres et une seringue, donnez moi la préférence.
Connaissez vous messieurs Corringius, Vitriarius, Struvius, Spener, Goldstal, et autres messieurs du bel air? Ce sont ceux qui broient actuellement mes couleurs. Vous peignez des choses agréables d'une main légère, et moi des sottises graves d'une main appesantie.
Je baise vos belles mains, et je décrasserai les miennes quand je vous verrai. Vous ne me dites rien du conseiller; faites lui bien mes compliments.