1755-08-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Vous allez vous moquer de mon imbécillité mon cher correspondent, vous me direz que je dois entendre un compte puisque j'en reçois souvent de Cadix, mais je vous répondrai que je ne les ay jamais lus.
Votre grand papier est pour moy un problème d'algêbre. Voyez je vous prie si je l'entends.

1. je vois qu'indépendemment des sommes que mr Cadhala voudra bien me fournir journellement à votre recommandation, vous avez bien voulu débourser pour moy 67705lt is.

2. vous additionez au bas de la page contenant mes dettes cette somme avec 100000lt , le total 167705 lt .

3. je conçois que ces 100000lt sont employées pour mon compte, et qu'elles me produisent au payement d'aoust 101250 lt sur les quelles vous reprenez ce que je vous dois.

4. par le résultat de la page avoir je conçois que vous avez reçu pour moy jusqu'à ce jour 178590lt 19s des quelles il faut distraire jusqu'à ce jour 67705lt 1s que je vous dois.

4. que par conséquent je peux compter que de ce chef il me reste 110885lt 18s à recouvrer en leur temps.

5. que d'un autre chef j'aurai à recouvrer sur mrs Gilly et Montaud, Frank, et Montmartel 182300lt les quelles jointes aux 110885lt font 293185lt sur quoy il n'y a qu'à déduire que les déboursez que vous voulez bien avoir la bonté de faire encore. Voylà à peu près sur quoy je comptais. Si je me trompe j'ose vous supplier de me faire mettre au net vos résultats en deux colomnes: 1ère colonne, recette en argent ou en billets payez et payables. 2ème colomne, dépense. Par là je verrai d'un coup d'œil jusqu'à quel point je me serai fait illusion.

Somme totale, je vous présente mes très humbles et très tendres remerciements, et je vous prie d'emploier tous mes fonds de la manière qui vous paraitra la plus sûre, la plus convenable, la plus décente; et de souffrir que Mr Cadhala m'aide toujours selon mes besoins.

Si le malheur incroiable que l'abbé P. m'a fait craindre, m'arrivait en effet, en ce cas vous auriez toujours la bonté de me faire tenir mon bien en quelque endroit que je fusse à mesure qu'il vous rentrerait, et que j'aurais des besoins nouvaux. Mais j'espère que nous n'en serons pas réduits à cette extrémité si funeste et si peu méritée. Je ne demande qu'à finir mes jours en paix dans l'agréable retraitte que votre esprit noble et conciliant m'a procurée, et que j'embellissais du mieux qu'il m'était possible. Madame Denis, qui a partagé mes inquiétudes, et mes douleurs, et dont la destinée me perce l'âme, vous fait comme moy les compliments les plus tendres.

V.