au château de Ferney 8 xbre 1767
Messieurs,
Je reçois la lettre dont vous m'honorez du 4 xbre.
Permettez moi d'abord de vous dire que le compte de mr Jeanmaire n'est pas juste. Il prétend par votre lettre qu'au 1er octobre dernier on me doit environ cinquante cinq mille sept cent livres qu'on m'a fait passer en lettres de change sur Lyon payables au 12 novembre. Or, messieurs, par le compte de messrs Jeanmaire et Surleau du 30 7bre 1767 et par leur compte joint à leur lettre il m'est dû d'une part soixante et un mille quarante et une livres, et de l'autre cent cinquante; le tout faisant soixante et un mille cent quatre vingt onze livres.
De ces 61.191 £ il faut déduire 4500 £ que j'ai touchées à Lyon à la fin de novembre sans préjudice de mes droits. Reste cinquante six mille six cent quatre vingt onze livres qui me sont dues.
Et à la fin du mois où nous sommes il me sera dû un quartier montant à la somme de quinze mille cinq cent trente et une livres.
Total au 1er janvier | 72222 £ |
Ajoutez à ce compte qui est très juste neuf cent livres qu'il m'en a coûté tant à Bezançon qu'à Colmar pour m'opposer aux poursuites illégales de mes co-créanciers et pour soutenir l'antériorité de mes hypothèques, desquelles 900 £ je produirai l'état.
Le tout se monte au 1er janvier à | 73122 £ |
Voilà, messieurs, sur quoi vous pouvez tabler. Il s'agit donc maintenant de me payer cette somme et de m'assurer le courant. J'entre dans ma soixante et quinzième année. Je n'ai pas de temps à perdre et ce courant ne vous sera pas longtemps à charge. Vous ne pouvez m'envoyer actuellement que dix mille livres, soit. Ayez donc la bonté de me les faire envoyer en lettres de change sur Lyon payables à vue.
Vous me promettez dix mille francs au mois de janvier; très volontiers encore. Donnez moi donc messieurs des délégations acceptées, pour le reste délégations en bonne forme, délégations irrévocables tant pour ma vie durant que pour celles de mes neveux et nièces, pour ce qui leur appartiendra après ma mort. Cela finira toute discussion.
Vous sentez, messieurs, à quel triste état vous m'avez réduit en ne me payant point. Je dois actuellement plus de vingt cinq mille livres. Je suis un père de famille à la tête d'une grosse maison. Je ne puis trouver à emprunter n'ayant que du viager. Je me flatte que vous ne voudrez pas remplir de tant d'amertume la fin de ma vie.
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois
messieurs
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire