au château de Ferney par Genève 10e 9bre 1767
Messieurs,
Je dois vous informer que Mr Jeanmaire m'étant redevable d'une somme très considérable, et me trouvant dans la plus triste situation, je pris le parti d'écrire au mois de septembre à Mgr le Duc De Virtemberg, et de le suplier de vouloir bien me faire tenir trois cent Louïs d'or, en attendant mon paiement.
S: A: S: en donna l'ordre; mais il se passa six semaines avant qu'il fût exécuté; et Mr Jeanmaire ne m'envoia que quatre mille cinq cent Livres en Lettres de change paiables au 12e 9bre.
Dans cet intervale j'apris la saisie faitte par des marchands de Lyon sur les terres de Richwir. On m'avertit que d'autres créanciers voulaient se faire paier à mon préjudice sur les terres de franche Comté. J'ai été obligé de fair constater l'antériorité de mon hipothèque en fesant controller et insinuer un contract de deux cent mille Livres, et en envoiant un avocat à Bezançon.
Si j'avais fait controller et insinuer les autres contracts, ces dépenses qui sont à vôtre charge, auraient monté à plus de quatre mille Livres, et s'il y avait procez entre les autres créanciers et moi, vous n'en seriez pas quittes pour six mille. J'ai ménagé vos intérêts comme les miens mêmes, et si vous voulez, Messieurs, me donner des délégations acceptées par les fermiers solvables avec quelque argent comptant, je me fais fort d'arrêter les poursuittes des marchands de Lyon. Il n'y a rien que je ne fasse pour témoigner mon respect et mon attachement à S: A: S:
Je vous suplie, Messieurs, de vouloir bien prendre des mesures sûres et promptes qui assurent vôtre repos et le mien. On me devra au premier Janvier soixante et douze mille cinq cent Livres, sauf erreur, en cas que je reçoive le paiement des Lettres de change de Mr Jeanmaire de 4500 £, et on me devra 77500 £: si je ne reçois pas le montant des Lettres de Change sur Lyon. Il vous est très aisé de me faire tenir une délégation de cette somme et du courant, acceptée par vos fermiers ou régisseurs, alors les frais ne tomberont plus sur vous quand il y aura de la faute de vos fermiers. Vous serez débarassés de toute cette discussion avec moi; et S: A: S: ne sera plus importunée de ces minuties qui sont au dessous de sa grandeur.
J'attends vôtre réponse, et j'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois
Messieurs
Vôtre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire