aux Délices 21 juillet [1755]
Mon cher ange vous avez dû recevoir les cinq chinois par monsieur de Chauvelin, et une petite correction au quatrième acte par la poste.
Il est juste que je vous rende compte des moindres particularitez de la Chine. Celles qui regardent l'ouvrage que Darget et tant d'autres personnes ont entre les mains sont bien tristes. Il n'est que trop vray que ce Grasset dont vous aviez eu la bonté de me parler en avait un exemplaire mais ce qu'il y a de plus cruel c'est le bruit qui court et dont m. le mml de Richelieu m'a instruit. Cette idée est aussi funeste qu'elle est mal fondée. Comment avez vous pu croire que je songeasse à me priver de l'azile que j'ay choisi et qui m'a tant coûté? comment avez vous pensé que je voulusse publier moy même ce que j'ay envoié à me de Pompadour? et perdre ainsi tout d'un coup le mérite de ma petite confiance. J'ay embelli assurément l'ouvrage au lieu de le gâter, et je suis d'autant plus en droit de condamner les éditions défigurées qui pouraient paraître de l'ancienne leçon. J'ay soigné cet ouvrage, je l'ay regardé comme un pendant de l'Arioste. J'ay songé à la postérité et je fais l'impossible pour écarter les dangers du temps présent. Je vous conjure mon cher et respectable ami, de détruire de touttes vos forces le bruit affreux qui n'est point du tout fondé, et qui m'achèverait. Vous avez confié vos craintes à mr de Richelieu, et à me de Fontaines. L'un et l'autre ont pris pour certain l'événement que votre amitié redoutait. Ils l'ont dit, la chose est devenue publique, mais c'est le contraire qui doit être public. Ma consolation sera à la Chine. Je ne vois plus que ce pays où l'on puisse me rendre un peu de justice. Adieu mon cher ange.