1755-08-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange je ne suis pas en état de songer à une tragédie.
Je suis dans les horreurs de la persécution que la canaille littéraire me fait depuis quarante ans. Vous m'aviez assurément donné un très bon avis. Ce Grasset était venu de Paris tout exprès pour consommer son iniquité. Il n'est que trop vrai que Chevrier était très instruit de ce maudit ouvrage, et de toutte cette manœuvre. Freron n'en avait parlé dans sa feuille que pour préparer cette belle entreprise. Vous savez de quelles abominations on a farci ce poème. On a voulu me perdre et gagner de l'argent. Je n'y sçais autre chose que de déférer moy même tout scandale qu'on voudra mettre sous mon nom en quelque lieu que je sois. Pour comble de douleur on m'aprend que Lyon est infecté d'un premier chant aussi plat que criminel dans le quel il n'y a pas quarante vers de moy. Mon malheur veut que Monsr votre oncle que je n'ay jamais offensé ait depuis un an écrit au roy plusieurs fois contre moy, et ait même montré les réponses. Il a trop d'esprit et trop de probité pour m'imputer les misères indignes qui courent, mais il peut sans les avoir vües écouter la calomnie. L'abbé Pernetti m'a écrit de Lyon, qu'on me forcerait à quitter mon azile, qui m'a déjà coûté plus de quarante mil écus. Madame Denis se meurt de douleur, et moy de la colique.

J'écris un motà made de Pompadour au sujet des cinq pagodes que vous luy faites tenir de ma part.

Je me flatte qu'elle ne trouvera rien dans la pièce qui ne plaise aux honnêtes gens et qui ne déplaise à Crebillon. Je me flatte que si elle l'aprouve, elle sera jouée malgré le radoteur Licofron. Adieu mon très cher ange qui me consolez.

V.