1755-06-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Élisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian.

Vraiment ma chère nièce vos ouvrages me consoleront bien des miens.
Nous les attendons avec impatience par monsieur Tronchin. Plût à dieu que vous eussiez pu les aporter vous même. Vous ornez notre solitude en attendant que vous nous y rendiez heureux. Nous avons béni Dieu, et fait notre compliment au digne bénéficier. L'église est sa vraie mère. Elle luy donne plus qu'il n'a de patrimoine. Mais je ne serai point content qu'il ne soit évéque.

Pour moy je vois bien que je ne serai que Damné. Cela est injuste, car je le suis un peu dans ce monde. Quelle étrange idée a passé par la tête de votre amy? je suis bien loin du dessein qu'il m'attribue! mais je voudrais vous envoier la véritable copie. Il est vray qu'il n'y a pas tant de drapperie que dans vos portraits, mais aussi ce ne sont pas les figures de L'Arétin. Darget ne devrait pas avoir cet ouvrage. Il n'en est possesseur que par une infidélité atroce. Les exemplaires qui courent ne viennent que de luy. On en offert un pour mille écus à Mr de la Valliere, et c'est Monsieur le duc de la Valiere luy même qui me l'a mandé. Tout cela est fort triste mais ce qui l'est bien davantage, c'est ce que vous me dites de votre santé. Il est bien rare que le lait convienne à des tempéraments un peu desséchez comme les nôtres. Il arrive que nos estomacs font de mauvais fromages qui restent dans notre pauvre corps, et qui y sont un poids insuportable. Cela porte à la tête. Les maudittes fonctions animales vont mal; et on est dans un état déplorable. Je connais tous les maux, je les ay éprouvez, je les éprouve tous les jours, et je sens tous les vôtres. Dieu vous préserve de joindre les tourments de l'esprit à ceux du corps. Si vous voyez notre ami je vous supplie de le bien relancer sur la belle idée qu'il a eüe. C'est précisément le contraire qui m'occupe. Je cherche à désarmer les mains qui veulent me couper la gorge et je n'ay nulle envie de me la couper moy même. D'Arget m'écrit à la vérité que son exemplaire ne paraitra pas, mais peut il empêché que les copies qu'il a données ne se multiplient? Adieu, je tâcherai de ne pas mourir de douleur malgré la belle occasion qui s'en présente. Je vous embrasse, vous et les vôtres. Adieu..