1723-06-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je suis infiniment flatté de la confiance que vous avez eue en moy, et je ne trouve rien de plus juste et de plus raisonable que d'aporter à la campagne un ouvrage de moy, et de me le cacher soigneusement lorsque je l'ai voulu avoir.
Envoiez toujours cette pièce, on verra ce qu'on en poura faire.

Je vous en aporterai une autre que je fais imprimer actuellement à Paris. Je voudrois être déjà à la Riviere mais j'ai encor ici deux ou trois petites afaires qui me retiennent.

Il y a quelques estampes qui m'ont baucoup plu et d'autres dont je n'ai pas été si content, mais les graveurs disent que celles là sont les plus belles et ils m'ont assuré que les défauts que je trouvois étoient autant de beautez.

Je vous prie d'avancer toujours notre ouvrage et d'effacer dans le neuvième chant ces 2 vers

Siège affreux composé de ministres cruels
Et toujours arrosé par le sang des mortels.

Il faudra les passer comme bien d'autres. Cela n'en sera que mieux. J'ai la fièvre au moment que je vous écris. Le lait que j'ai voulu continuer avec l'embaras des afaires et le chagrin dont je suis lutiné à Paris m'a fait baucoup de mal. Le pis que j'y trouve c'est que cela retarde mon retour et me fait rester malgré moy dans une ville que je déteste. Monsieur de Richelieu partit hier pour Forges et milord Bolimbroke pour l'Angleterre. Ainsi je ne sai plus que devenir dans Paris. Mandez moy au juste où l'on est de l'édition et surtout ne me cachez point l'indiscrétion que vous avez eüe de montrer la parodie à madame de Bernieres.