aux Délices près de Geneve 1er avril 1755
Votre lettre du 13 mars madame m'a été rendue fort tard.
Il arrive souvent aux postes de la Suisse de retarder les lettres quand le nombre des paquets n'est pas considérable. Venons vite au fait; et parlons de vos affaires. Je crois que vous ne pouvez mieux faire que de venir vous établir à Monrion à la fin de may. Vous y trouverez du moins des lits, et mon banquier de Lauzane vous fera fournir en trois heures de temps tout ce dont vous aurez besoin. Quand vous serez là, vous irez voir les maisons voisines qui pouront vous convenir, celle de Préla par exemple, qui est très jolie, où vous pourez loger tout votre monde, où il y a des meubles, et que vous aurez pour deux cent écus par an, en faisant un bail de neuf années si on me tient la parole qu'on m'a donnée. Vous prenez je crois un très bon parti de ne pas demeurer dans les villes, mais il faut demeurer auprès des villes. Il faut être à portée de tous les secours. Si vous trouvez à Vévay ou auprès de Vévai quelque chose qui vous plaise plus que Préla, vous le prendrez. Il sera triste pour moy d'avoir quatre lieues à faire au milieu des glaces en hiver pour vous venir faire ma cour de Monrion à Vévay. Mais je ferais de plus longs voiages quand il s'agira de vous revoir, et de vous renouveller un attachement dont je crois que vous ne doutez pas.
Vous pourez encor si vous le voulez vous raprocher de Geneve, vous placer entre Geneve et Lauzane, et toujours sur ce beau lac qui en été forme partout des situations délicieuses.
Toutte ma maison des Délices est actuellement sans dessus dessous. J'espère pourtant au commencement de juin pouvoir vous loger, si vous honorez ma cabane de votre présence. Cette retraitte est faitte pour devenir très agréable et elle commencera à l'être quand vous daignerez y venir. En un mot voulez vous venir vers la fin de may, voir tout par vos yeux, ne vous engager à rien avant de pouvoir vous déterminer en connaissance de cause? Venez à Monrion, mandez moy votre marche, mandez moy au juste quand vous arriverez, combien de gens vous amenez, combien de lits il vous faut. J'en ay déjà un très bon, un autre passable. Mon banquier vous fournira sur le champ linge, jolie vaisselle de fayance, à très bon marché, lits de domestique, soit les miens soit lits qui vous demeureront. Ces lits, ce linge, cette vaiselle vous seront nécessaires et vous suivront partout où vous serez. Monrion est petit mais le plein pied est assez commode. Vous pourez y rester très bien quatre mois pour avoir le temps de choisir votre domicile. Encor une fois prenez ce party qui vous épargnera des frais immenses, qui vous empêchera d'être trompée, et qui est bien aisé à prendre. J'attends vos ordres. Disposez de moy madame comme d'un homme à vous. Comptez sur mon obéissance, sur mon zèle, sur la plus tendre et la plus respectueuse amitié.