1754-11-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Me voylà à Lyon mon cher ange.
Mr de Richelieu a eu l'ascendant sur moy de me faire courir cent lieues. Je ne sçais où je vais ny où j'irai. J'ignore le destin de la pucelle et le mien. Je voiage tandis que je devrais être au lit, et je soutiens des fatigues et des peines qui sont au dessus de mes forces. Il n'y a pas d'apparence que je voie mr de Richelieu dans sa gloire aux états de Languedoc. Je ne le verray qu'à Lyon en bonne fortune, et je pourois bien aller passer l'hiver sur quelque cotau méridional de la Suisse.

Je vous avouerai que je n'ay pas trouvé dans m. le cardinal de Tensin les bontez que j'espérais de votre oncle. J'ay été plus acceuilli et mieux traitté de la markgrave de Bareith qui est encor à Lyon. Il me semble que tout cela est au rebours des choses naturelles. Mon cher ange ce qui est bien moins naturel encore c'est que je commence à désespérer de vous revoir. Cette idée me fait verser des larmes. L'impression de cette maudite pucelle me fait frémir, et je suis continuellement entre la crainte et la douleur. Consolez par un mot une âme qui en a besoin et qui est à vous jusqu'au dernier soupir.

V.

Madame Denis devient une grande voiageuse, elle vous fait les plus tendres compliments.