1750-04-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
Grand Roy, voicy donc le receuil,
De ma dernière rapsodie.
Si j'avois quelque grain d'orgueuil,
De Federic un seul coup d'œil
Me rendroit de la modestie.
Votre Tribunal est l'éceuil
Où notre vanité se brize.
L'œuvre que votre goût méprise
Dès ce moment tombe au cerceuil.
Rien n'est plus juste. Votre acceuil
Est ce qui nous immortalize.

A propos d'immortalité sire j'auray l'honneur de vous avouer que c'est une fort belle chose. Il n'y a pas moyen de vous dire du mal de ce que vous avez si bien gagné. Mais il vaut mieux vivre auprès de votre majesté deux ou trois mois que trente mille ans dans la mémoire des hommes. Je ne sçai pas si Darnaud sera immortel mais je le tiens fort heureux dans cette courte vie. La mienne ne tient plus qu'à un petit fil. Je seray fort en colère si ce petit fil est coupé, avant que j'aye encor eu la consolation de revoir le grand homme de ce siècle. Vos vers sur le cardinal de Richelieu ont été retenus par cœur. Le moyen de s'en empêcher?

Richelieu fit son testament
Et Neuton son apocalipse.

Cela est si naturel, si aisé, si vray, si bien dit, si court, si dégagé de superfluitez qu'il est impossible de ne s'en pas souvenir. Ces vers font déjà un proverbe. Vous êtes assurément le premier roy de Prusse qui ait fait des proverbes en France.

Votre majesté verra dans la rapsodie cy jointe mes raisons contre madame d'Eguillon.

Jugez ce testament fameux
Qu'en vain d'Eguillon veut deffendre;
Vous en avez bien jugé deux
Plus difficiles à comprendre.

Je ne verray donc jamais sire la Valoriade? Il y a une ode dans un recueil de votre académie. Je n'ay ny le recueil, ny l'ode. C'est bien la peine de vous aimer pour être traitté ainsi! Oh le mauvais marché que j'ay fait là, de vous donner toutte mon âme sans restriction.

V.