à Colmar 7bre 9 [1754]
Voicy monseigneur une lettre que madame Denis reçoit aujourdui.
On m'en écrit quatre encor plus positives. Ce n'est pas là un rafraichissement pour des malades. J'ay bien peur de mourir sans avoir la consolation de vous revoir. Nous sommes forcez et tout prêts à prendre un parti bien triste. Quelque chose que je dise à madame Denis, je ne peux la résoudre à séparer sa destinée de la mienne. Le comble de mon malheur c'est que l'amitié la rende malheureuse. Si vous aviez quelque chose à me dire, quelque ordre à me donner je vous supplie d'adresser toujours vos ordres à Colmar. Vos lettres me seront très exactement rendues.
Je ne crois pas que le cérémonial ait entré dans la tête de madame la markgrave de Bareith. Elle ne fait point difficulté d'aller affronter un vice légat italien. Elle serait baucoup plus aise de voir celuy qui fait l'honeur et les honneurs de la France. Elle voiage incognito. On n'est plus au temps où le punctilio faisait une grande affaire et vous êtes le premier homme du monde pour mettre les gens à leur aise. Je crois qu'elle ne m'a point trompé quand elle m'a dit qu'elle craignait la foule des états et l'embarras du logement. Elle n'est pas si malingre que moy, mais elle a une santé très chancelante qui demande du repos sans contrainte. Elle trouverait tout cela avec vous avec les agréments qu'on ne trouve guères ailleurs. Reste à savoir si elle aura la force de faire le petit chemin d'Avignon à Montpellier, car on dit qu'elle est tombée malade en route. Elle a un logement retenu dans Avignon, elle n'en a point à Montpellier. Pour moy je voudrais être caché dans un des souterrains du Merdanson, et vous faire ma cour le soir quand vous seriez las de la noble assemblée, mais je suis de touttes façons dans un état à n'espérer plus dans ce monde d'autre plaisir que celuy de vous être attaché avec le plus tendre respect, de vous regretter avec larmes; et de soufrir tout le reste patiemment.
V.