à Colmar, 20 avril [1754]
je crois que j'ay mal datté mes dernières lettres
Vous me dites dans votre lettre du 15 avril que vous viendrez à Colmar! Vous me pénétrez ma chère enfant d'admiration et de reconnaissance. Vous à Colmar! je suis extasié et je tremble. Une prison est faitte pour un malade qui n'a pas encor mis le pied hors de sa chambre. Mais ferez vous cent lieues et baucoup plus pour vous en retourner? et pour être logée comme moy chez made Goll, sans aucun amusement, sans consolation, sans ressource? Il vaudrait bien mieux suivre votre projet d'aller à Plombieres qui est sur le chemin. Je viendrais vous y attendre au mois de juin comme je vous l'ay mandé. Vous rempliriez à la fois vos desseins héroiques d'amitié, et l'idée de prendre des eaux. Vous me dittes que Monsieur Dargental va à Plombieres. Ne pouriez vous pas vous arranger avec luy pour le voiage? Vous laveriez votre sang et vous mettriez du baume dans le mien.
Puisque vous avez la bonté de m'envoier des livres, je vous prie d'en retrancher les mémoires de Boulainviliers. Je les ay trouvez icy. J'y ay pour mon travail des secours que je n'espérais pas. Je vous remercie de l'attention que vous avez de faire parvenir à l'électeur palatin le ballot de livres. Lambert peut servir pour L'emballage, mais c'est un aussi mauvais commissionaire qu'il est un mauvais correspondant. L'électeur palatin ne prend ny mes tableaux ny mon cabinet de phisique. Pagni peut arranger ce cabinet, le mettre en parade dans les armoires de marqueterie. Il y a un beau miroir ardent; un quart de cercle admirable; des machines bien conditionées; supposé que du Bordier ne les ait pas volées; on peut très aisément faire mettre dans les affiches cabinet de phisique bien conditioné etc. On peut dans quelque inventaire faire vendre les tableaux. Un commissionaire tel que j'en ai demandé rendrait ce service. Je m'occupe àprésent malgré mes maux à cette histoire universelle. C'est comme vous savez un nouvau devoir qu'un malheur très imprévu m'impose. Les quatre volumes d'une autre espèce que vous avez, pouraient comme je vous l'ay dit être aisément corrigez en un jour, si vous pouviez dans un moment de loisir me mander ce qui vous a déplu.
Je vous ay envoyé le second tôme de ces très sèches annales. Je vous dépêche encor par mr Bouret un exemplaire complet. Le 1er tome était plein de fautes qu'on a corrigées. Je vous prie de recommander à Lambert d'avoir un bon correcteur en cas qu'il me fasse l'honneur, et à Sœpfling l'injustice de réimprimer cette besogne.
Vous me parlez de prendre ce le Sueur pour faire mes affaires. Il y a quatre ans qu'il en est chargé mais jamais il ne m'a écrit, et j'ignore comment je suis avec Laleu. Tout ce que je sçai c'est qu'il me faut une somme considérable dont je puisse disposer, ne comptant point du tout sur Ericard, et voulant s'il se peut n'avoir jamais afaire à cet homme là non plus qu'à du Billon. Je supporte ma retraitte mais il m'en faut une autre. J'ay voulu me mettre en état de changer d'air, mais il m'a fallu attendre que mes forces revinssent, et elles ne reviennent point. Tenir mon paquet prest pour un voiage ou pour celuy de l'autre monde, est tout ce que je peux, et c'est ce que je fais.
La mauditte histoire universelle est un coup de massue qui m'attere. Ce coup m'a attiré l'indigne lettre du père de Menou. Ç'a été le coup de pied de l'âne. Vous seule me consolez, mais où mourrai-je? Adieu.
V.
Il neige toujours à force. J'ay dévoré aujourduy le livre de Bolingbroke et le commerce. Le commerce me parait utile, et Bolingbroke pitoiable.