Monsieur,
Voici encore un de nos libraires qui met sa faucille dans votre moisson.
C'est que la moisson est bonne; et la denrée se débitera si bien que votre libraire n'en soufrira pas de préjudice. Quant à vous, Monsieur, il n'y a que de l'honneur à voir vos ouvrages si répandus, & du moins c'est ici un ouvrage avoué, qui en effet, à en juger par la première feuille que j'ai vüe est tout autrement châtié que ce qu'on vous dérobe. Je dois vous dire aussi que ces Mrs Cramer qui vous copient cet imprimé sont des gens distingués dans la librairie soit par leur naissance, soit par leurs facultés, soit par leur probité, & soit par l'honnêteté de leurs procédés avec les gens de Lettres. Ils sont proche parens de notre illustre Philosophe M. Cramer. Par toutes ces raisons je ne doute pas qu'ils ne trouvent auprès de vous un accès bien favorable.
Ne dédaignez point, Monsieur, un travail que vous appelez sec & propre à éteindre le génie. Ce que vous avez fait sur l'histoire est peut-être avec votre Henriade ce qui vous illustrera le plus dans toute l'Europe et chez la postérité. Osez, Monsieur, l'envisager cette postérité, pour conserver une liberté qui vous assure ses suffrages, quand même il y auroit quelque bourrasque à essuyer dans le tems présent. Ainsi j'ose insister avec vous sur ce que vous retouchiez & acheviez votre Essai de l'Histoire Universelle & que vous mettiez ce dépôt en des mains sûres. Vous devez cela au Public comme vous vous devez à vous mêmes de ne donner lieu à aucune indiscrétion.
Je vous prie de me compter toujours au rang de ceux qui sont sincérement attachés à votre gloire & à votre personne. Si vous quittés Colmar faites que je sache où vous allés. On peut avoir des choses à vous addresser qui demandent que je sois instruit de votre marche. J'attens l'exemplaire des Annales de l'Empire que vous avés eu la bonté de me promettre, & j'ai l'honneur d'être avec un grand dévouement
Votre très humble & obéisst serviteur
J. Vernet
Geneve le 15 Avril 1754