à Colmar 25 janvier [1754]
Les malheurs madame ne doivent ôter ny le courage ny les sentiments de l'amitié.
Mon cœur remplit ces deux devoirs. Un de mes premiers soins est de vous présenter un ouvrage dont le titre au moins doit vous intéresser puisque c'est l'histoire de votre patrie.
Parmy les exemplaires que j'ay l'honneur de vous envoyer vous pouriez en faire agréer un à Mg. le prince de Prusse, un à Mg. le prince Henri, un autre à un certain prince philosofe que je crois toujours de vos amis.
J'ay ignoré et j'ignore encor si un détestable libelle qui parut l'année passée sous le titre de lettre de Berlin juin 1752 est parvenu jusqu'à vous. C'est un tissu de calomnies impertinentes sur la famille royale de Prusse. Il n'y a personne de plus condamnable après l'autheur de cette lettre que Maupertui qui seul dans L'Europe a eü le front de me L'imputer.
Jean Neaume vient d'imprimer un abrégé d'une prétendue histoire universelle que vous avez peutêtre vue. On ne peut être qu'indigné des fautes innombrables et grossières dont ce misérable a défiguré un ouvrage qui aurait pu être utile. J'en ay compté plus de deux cent cinquante à la première lecture, et j'ay jetté le livre au feu.
Je me flatte qu'il y aura moins de fautes dans les annales de L'empire.
Je m'intéresse bien plus madame à votre bonheur et aux agréments de votre vie qu'à tous les empereurs et à tous les papes qui ont troublé le monde. Je vous supplie de vouloir bien me donner de vos nouvelles, et de m'apprendre si vous êtes aussi heureuse que vous méritez de l'être. Vous pouvez adresser votre lettre au banquier David Dumont à Leipzik. Je me suis servi de luy pour vous faire tenir ce paquet et votre lettre, qui me sera rendue avec sûreté, fera la consolation d'un malade qui vous sera attaché jusqu'au tombau avec le plus tendre respect.
V.