1754-07-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Je reçois madame aux eaux de Plombieres les nouvelles marques de votre souvenir, elles sont accompagnées d'un petit billet charmant de madame la princesse de Zerbst.
C'est une nouvelle faveur que je vous dois. Je vais luy écrire, mais je commence par vous remercier. Les annales de L'empire sont un peu sèches. C'est le malheur des annales. Je les crois aussi fidèles qu'elles peuvent l'être. Elles ont du moins le mérite d'être courtes. Vous m'aviez promis de m'avertir de quelques fautes. Vous oubliez trop vite les fautes de vos amis, songez que ce sera une de vos belles actions de me donner les moyens de me corriger.

Je vous jure que je ne sçai ce que c'est que cette épitre à moy meme. Il y a deux ans que je ne fais de vers ny n'en lis. Si c'est quelque insipide satire dans la quelle quelque insensé manque de respect au roy de Prusse vous faites très bien de ne la point lire; et je vous reconnais bien lâ. J'ose être sûr que le roy ne m'attribuera pas plus cette sottise en vers, qu'il ne m'a imputé la sottise en prose qui courut il y a près de deux ans. Il doit savoir que je suis incapable de luy manquer jamais: et le misérable procez de Maupertui et de Kœnig ne doit pas plus altérer les bontez de sa majesté pour moy qu'il n'a affaibli mes sentiments pour luy. J'ay été très affligé parce que je luy étais très attaché: et cet attachement survit encor à mon affliction. Il est bien désintéressé. Je n'ay besoin d'aucun prince, je n'ay besoin que de santé. Je ne l'ay pas trouvée à Plombieres, et je quitte les eaux plus malade que je n'y suis venu. Vous voyez que je ne suis pas homme à marier. Ma famille et mes amis sont venus me tenir compagnie aux eaux. Je m'en retourne à Colmar où j'ay une partie de mon bien, avec cette nièce victime de l'amitié. Elle ne s'est point découragée. Elle m'acompagne à Colmar, quoy que Colmar soit en Allemagne. Vous ne me paraissez pas trop contente de vos affaires. Mais soyez le au moins de votre cœur et de votre esprit. Je sçai qu'avec votre belle imagination, et un cœur d'héroine vous pouvez encor essuier des caprices de la fortune, mais pour l'ennuy, je ne le conçois pas. Il n'est pas fait pour vous. Vous languissante! je parie que votre langueur serait l'activité des autres; peutêtre vous arrive t'il quelquefois de n'avoir en même temps qu'une demi douzaine de pensées, de ne lire qu'un livre en un jour, de n'écrire que sept ou huit lettres, et vous croyez alors que c'est là de l'ennuy. Je vous défie madame de le sentir quand vous êtes seule, et de l'inspirer quand vous êtes avec du monde.

Souvenez vous du très renommé banquier David Dumont à Leipzik, et de votre fidèle serviteur à Colmar.