1753-04-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Je reconnais partout les effets de vos bontez.
Madame la princesse de Zerbst, aprenant que j'étais malade à Leipzick, a envoyé chez moy m'offrir tous les secours possibles. Pourquoy ne pui je madame passer ma vie entre vous et votre respectable amie?

Maupertuis n'a pas été si généreux. Croirez vous, ce que je vais vous dire? Non, vous ne le croirez pas, cela est impossible, cela est pourtant vray. Maupertui, le président d'une académie, Maupertuis le bon chrétien m'a écrit. Mais que m'a t'il écrit? Vous ne le devinerez pas. Il m'a écrit madame qu'il viendrait à Leipzick m'assassiner. Ouy madame, ouy. La lettre est déposée à Leipzik, et voylà la réponse. J'en ay envoyé copie au Roy. Sa majesté connaitra enfin ce bon fou. Il est en horreur à toutte l'Allemagne. Voylà ce que c'est d'avoir été persécuteur. S'il s'était contenté de faire des trous jusqu'au centre de la terre, et de deviner l'avenir on n'aurait fait que rire. Je me console d'avoir quitté Potsdam, puisque cette dernière sottise de Maupertui ouvrira les yeux au roy, et me fera revenir avec plus d'assurance de retrouver les anciennes bontez de sa majesté. Si je peux me rétablir j'iray passer quelques jours à Bareuth avant de prendre Les eaux. Quelque part où je végète, jusqu'à ce que Maupertui me tue, je vivrai pour vous respecter et pour vous adorer. Mandez moy donc si Francheville est encor chez vous, et faittes mes compliments à ma femme. Adieu très belle âme, adieu.