1753-12-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Néaulme.

J'ai lû avec attention et avec douleur le Livre intitulé Abrégé de l'histoire universelle, dont vous dites avoir acheté le manuscrit à Bruxelles.
Un Libraire de Paris à qui vous l'avez envoyé, en a fait sur le champ une Edition aussi fautive que la vôtre. Vous auriez bien dû au moins me consulter avant de donner au Public un ouvrage si défectueux. En vérité c'est la honte de la Littérature. Comment votre Editeur a-t-il pû prendre le huitième Siècle pour le quatrième, le treizième pour le douzième, le Pape Boniface VIII pour le Pape Benoit VIII? Chaque pages est pleine d'erreurs absurdes; tout ce que je peux vous dire c'est que tous les manuscrits qui sont à Paris, ceux qui sont actuellement entre les mains du Roi de Prusse, de Monseigneur l'Electeur Palatin, de Madame la Duchesse de Gotha, sont très différents du vôtre. Une transposition, un mot oublié suffisent pour former un sens odieux et criminel. Il y a malheureusement beaucoup de ces fautes dans vôtre ouvrage. Il semble que vous aiez voulu me rendre ridicule, et me perdre en imprimant cette informe rapsodie, et en y mettant mon Nom. Votre Editeur a trouvé le secret d'avilir un ouvrage qui auroit pû devenir très utile. Vous avez gagné de l'argent, je vous en félicite. Mais je vis dans un Païs où l'honneur des Lettres, et les bienséances me font un devoir d'avertir, que je [n'ai] nulle part à la publication de ce livre rempli d'erreurs et d'indécences, que je le désavouë, que je le condamne, et que je vous sçais très mauvais gré de votre édition.

Voltaire

Je serai mis en Prison pour votre ouvrage, voilà l'obligation que je vous ay.