1753-11-27, de Jean Baptiste de Boyer, marquis d'Argens à Jean Néaulme.

Je renvoie chés vous monsieur les deux Lettres de mr de Voltaire; je les ai montrée au roy, parce qu'il me les a demandées; car d'ailleurs je vous dirai que je n'entre pas volontiers dans les disputes des auteurs, et des libraires.
Je n'ai aucun sujet de me plaindre de mr de Voltaire, ni aucune raison pour m'ingérer de condaner sa conduite. Si elle est bonne tant mieux pour luy, si elle est mauvaise tanpis.

Le roy m'a remis la letre que vous luy avés écrit en luy envoiant le nouvel ouvrage de mr de Voltaire et il m'a chargé de vous remercier du livre que vous luy avés présenté. Je m'aquite avec grand plaisir de cette comission, parcequ'elle ne peut que vous être très graçieuse, et que dans toutes les occasions qui dépendront de moy, je serai toujours charmés de vous rendre service, et cella par deux raissons, la première parce qu'en vous obligent, j'oblige un très galant homme et la seconde parceque je vous considère comme un Holandois, nom pour moy respectable, et qui m'est aussi cher que celuy de Jerusalem l'est aux Juifs.

Oserois je vous prier au milieu des occupations de votre comerce, de faire mes plus tendres complimens à mr de Joncourt si vous en trouvés l'occassion? Dites luy je vous prie que je regarderai toujours le moment où j'ai eu le plaisir de le connoitre comme un des plus heureux de ma vie.

Que fait le bon Monsieur Marchand? vit il encor? est il toujours fâché contre moy? Il a grand tort car je vous jure que je n'ai jamais eu la moindre part à toutes les pièces que notre ami Paupié a mis dans le suplément du sixième volume des letres cabalistiques, elles ont été imprimées à mon insçu. Vous sçavés bien que j'étois en Alemaigne lorsqu'elles parurent, et l'amitié qui a toujours été entre Paupié et moy faissoit que je le laissois le maitre de faire ce qu'il vouloit sans m'en instruire.

A propos du sieur Paupie, s'il est à la Haye vous le voiés sans doute très souvent. Dites luy je vous prie que je l'aime encor de tout mon cœur et autant que lorsque je faissois les letres juives, et que nous écrivions des pamflets contre le médecin de Liege.

Je suis monsieur avec une considération constante votre très humble et très obéissant serviteur

le Marquis D'Argens