1753-10-20, de Antoine Vicaire à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Le présent que vous me faites, met le comble aux applaudissements que le public savant de Paris a donnés aux efforts que j'ai fait pour lui plaire.
Si j'ai pu mériter par quelque endroit une marque si particulière de vôtre estime, c'est par le goût que j'ai toujours eu pour les chef-d'œuvres de vôtre plume.

Mr le Roy mon ami, qui m'a remis l'exemplaire de vos œuvres que vous m'avez destiné, y a ajouté vos compliments et vos remerciments. Les compliments sont très flatteurs pour mon amour propre, puisqu'ils flatteroient les plus grands talents: à l'égard des remerciments, je vous prie, Monsieur, de croire que vous ne m'en devez aucun; c'est à vous que la France en doit dans cette occasion, comme elle vous en devra toujours, tant que subsistera l'amour des beaux écrits. Je défendois sa gloire contre les reproches injustes des peuples nos voisins, qui voudroient nous ravir le génie créateur: vous me fournissiez une preuve invincible contre eux; j'ai cru que je ne ferois pas injure aux poëtes épiques des nations étrangères, de leur donner pour confrère le plus beau génie de nôtre siècle, que les savants de leurs pays eux-mêmes se sont crus obliger par justice de leur donner.

Ainsi, Monsieur, la reconnoissance doit être toutte entière de mon côté, puisque sans la Henriade il m'eût été impossible de prouver mon sujet dans toutte son étendue. Vous voulez y ajouter un nouveau dégré par le précieux dépôt du bon goût, dont vous me faîtes présent; je ne crois pas pouvoir mieux répondre à ce que je vous dois, qu'en continuant d'y puiser la belle façon d'écrire.

Je suis avec respect et avec reconnoissance,

Monsieur,

Vôtre très humble et très obéissant serviteur

Vicaire professeur d'éloquence au collège roial de Navarre