1757-07-21, de Jean Le Rond d'Alembert à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ai reçu il y a déjà quelque tems, mon cher et très illustre confrère, les articles magie, magiciens & mages, de votre prêtre de Lausanne.
J'ai en même tems envoyé votre lettre à Briasson, qui m'a fait dire que vos commissions étoient déjà faites avant qu'il la reçût.

Les articles que vous nous envoyez de ce prédicateur hétérodoxe sont peut être une des plus grandes preuves des progrès de la philosophie dans ce siècle. Laissez la faire, et dans vingt ans la Sorbonne, toute Sorbonne qu'elle est, enchérira sur Lausanne. Nous recevrons avec reconnoissance tout ce qui nous viendra de la même main. Nous demandons seulement permission à votre hérétique de faire patte de velours dans les endroits où il aura un peu trop montré la griffe. C'est le cas de reculer pour mieux sauter. A propos, vous faites injure au chevr de Jaucourt de mettre sur son compte l'article Enfer. Il est de notre Théologien, docteur et professeur de Navarre, qui est mort depuis à la peine, et qui sait actuellement si l'enfer de la nouvelle loi est plus réel que celui de l'ancienne. Au reste cet article Enfer n'est pas sans mérite, l'auteur y a eu le courage de dire qu'on ne pouvoit pas prouver l'éternité des peines par la raison; cela est fort pour un sorboniste.

Sans doute nous avons de mauvais articles de Théologie et de métaphysique, mais avec des censeurs Théologiens, et un privilège, je vous défie de les faire meilleurs. Il y a d'autres articles moins au jour, où tout est réparé. Le tems fera distinguer ce que nous avons pensé d'avec ce que nous avons dit. Vous serez, je crois, content de notre 7e volume, qui paroitra dans deux mois au plus tard.

Les affaires de Bohême ont bien changé de face depuis un mois. Voilà, je crois, ma pension à tous les diables. Mais j'en suis d'avance tout consolé. Si la guerre dure, je ne réponds pas que celles du Thrésor royal soient mieux payées.

Mes respects à Made Denis.