De Paris [c. 28 September 1739]
Ma chère amie, Paris est un gouffre, où se perdent le repos & le recueillement de l'âme, sans qui la vie n'est qu'un tumulte importun.
Je ne vis point. Je suis porté, entraîné loin de moi dans des tourbillons. Je vais, je viens; je soupe au bout de la ville, pour souper le lendemain à l'autre. D'une société de trois ou quatre intimes amis, il faut voler à l'Opéra, à la Comédie, voir des curiosités comme un étranger, embrasser cent personnes en un jour, faire & recevoir cent protestations, pas un instant à soi, pas le temps d'écrire, de penser ni dormir. Je suis comme cet ancien qui mourut accablé sous les fleurs qu'on lui jetait. De cette tempête continuelle, de ce roulis de visites, de ce chaos éclatant, j'allais encore à Richelieu avec madame du Chastelet, je partais en poste ou à peu près, & nous revenions de même pour aller enterrer à Bruxelles toute cette dissipation. Madame la duchesse de Richelieu s'avise de faire une fausse couche, & voilà un grand voyage de moins. Nous partons probablement au commencement d'octobre, pour aller plaider tristement, après avoir été ballottés ici assez gaiement, mais trop fort. C'est avoir la goutte après avoir sauté. Voilà notre vie, mon cher gros chat; & vous, tranquille dans votre gouttière, vous vous moquez de nos écarts; & moi, je regrette ces moments pleins de douceur où l'on jouissait à Cirey de ses amis, & de soi même. Qu'est ce donc que ce ballot de livres arrivés à Cirey? Est ce un paquet d'ouvrages contre moi? Je vous dirai en passant qu'il n'est pas plus question ici des horreurs de l'abbé Desfontaines, que s'il n'avait jamais existé. Ce malheureux ne peut pas plus se fourrer dans la bonne compagnie à Paris, que Rousseau à Bruxelles. Ce sont des araignées qu'on ne trouve point dans les maisons bien tenues. Mon cher gros chat, je baise mille fois vos pattes de velours.