1750-11-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Le soleil levant s'est allé coucher.
Ce pauvre d'Arnaud s'ennuyait ici mortellement de ne voir ni roi, ni comédienne, et de n'avoir que des baïonnettes devant le nez. Il avait épuisé son crédit à faire jouer à Charlottembourg, il y a quelque temps, sa comédie du mauvais riche, mais les pièces tirées du nouveau testament ne réussissent pas ici. Elle fut mal reçue. Il s'est regardé comme Ovide dont on aurait sifflé une élégie chez les Gêtes. Tout cela, joint à un peu de chagrin de voir moi, soleil couchant, passablement bien traité, l'a porté à demander son congé fort tristement. Le roi lui a ordonné très durement de partir dans vingt-quatre heures; et comme les rois sont accablés d'affaires, il a oublié de lui payer son voyage. Mon enfant, mon triomphe m'attriste. Cela fait faire de profondes réflexions sur les dangers de la grandeur. Ce d'Arnaud avait une des plus belles places du royaume. Il était garçon poète du roi, et sa majesté prussienne avait fait pour lui des versiculets très galants. Nous n'avons point depuis Belisaire de plus terrible chute. Comme le monarque bel esprit traite un de ses deux soleils! Je lui avais écrit sur la route quand j'allais à sa cour,

Quel diable de Marc Antonin!
Et quelle malice est la vôtre!
Vous égratignez d'une main,
Lorsque vous caressez de l'autre.

On me fait plus que jamais patte de velours, mais…. Adieu, adieu, je brûle de venir vous embrasser.