auprès de Strasbourg
9 septembre [1753]
je crois avoir mal daté la dernière
Vive mr Ravaton, puisqu'il vous tira d'un accouchement si difficile! Ma chère enfant que ne peut il àprésent vous aider dans un acouchement aisé! Votre lettre m'a transporté.
J'ay pensé précisément comme vous sur le mariage de votre beau frère, et si j'étais à Paris, je répondrais presque d'en venir à bout quoyque les deux parties soient difficiles à manier. Cernin a sûrement écrit à Ericart et vous n'en pouvez douter après les extraits de ses lettres que je vous ai envoyez. La tendre amitié que nous avons vous et moy pour Cernin ne m'aveugle pas. Il y a une très belle dame que j'aurais bien voulu entretenir. C'est d'elle que tout dépend. Si elle voulait se prêter à une idée très raisonable que j'ay et qui est très aprouvée d'un de ses amis, l'affaire dont vous me parlez se ferait infailliblement. (Cette belle dame n'est pas celle dont vous me parlez, c'est une très belle et grande dame que je voulais aller voir). Mais comment puis je me mêler d'un mariage à Paris, quand je suis malade en province? Il faut attendre.
Je ne suis point surpris de ce que Cerni vous a conté. Lemeri en est très capable. Ce qu'on dit de l'électeur palatin n'est pas exact. Le fait est qu'il m'a donné un joli diamant avec une médaille de made sa femme, et sa femme m'a donné la médaille de Monsieur. Mais l'aceuil que ces souverains ont daigné me faire, la bonté qu'ils ont eu de vouloir me retenir sont au dessus de tous les diamans.
A l'égard de la procuration dont vous me parlez je vous assure ma chère enfant que je n'ay pas été un moment en colère contre vous, j'ay été seulement affligé que Lémeri puisse se prévaloir de cette fausse démarche. La perte de 90 louis est peu de chose. Vous avez grand tort de me croire opiniâtre et violent. Si je l'avais été n'aurais je pas pris le parti d'aller en Hollande? ne vous ai-je pas empêché d'y aller? ne vous ai-je pas pressée de retourner en France? n'ai-je pas prévu L'effet de votre voyage? ne vous ai-je pas dit que tous les cœurs seraient pour vous?
Je vous répète que je souffre avec la plus grande patience dans la solitude, que je tâche d'y travailler utilement, et que je ne ferai aucune démarche. Je suis persuadé que le Roy de Prusse se repentira tost ou tard de l'excez où sa préoccupation l'a porté contre vous. Je ne parle de luy qu'avec le plus profond respect. Tout mon chagrin est d'être inutile à ma patrie. Je peux vous assurer que si j'avais l'honneur de parler à mr de st Contest il ne serait pas mécontent de moy. Quand vous verrez mr de Bussy, je compte bien que vous luy en direz autant. J'ay écrit un petit mot à M. le maréchal de Richelieu pour le remercier de touttes ses bontez mais je n'ay écrit qu'à luy. Mes doigts sont toujours si enflez qu'il faut un effort pour qu'ils tiennent une plume. Je sçai que M. Bagieu a un excellent remède pour cette maladie, et peutêtre dans quelques mois le roy aura la bonté de permettre que je vienne me mettre entre ses mains. Il ne voudra pas que je meure faute de secours.
Je veux toujours mettre en ordre nos affaires de famille. Je vous demande en grâce de ne vous point opposer à ce que vous m'avez proposé vous même. Il ne s'agit que de consulter des dattes. Je vous renverrai tout avec la plus grande fidélité. Faittes moy donc tenir les papiers, je vous en conjure. J'ay fini le grand ouvrage où je travaillais à Mayence et dont vous avez lu quelques morceaux. Je m'occuperai dans ma profonde solitude à mettre en ordre les choses qu'il faut absolument que je vous laisse afin que ma vie et ma mort ne soient pas inutiles.
Allez à Fontainebleau ma chère enfant. Souvenez vous seulement qu'on m'a baisé les mains pour me faire rester à Potsd., qu'on m'a écrit de sa chambre à la mienne des billets doux qui auraient séduit ste Terese, qu'on n'a été fâché contre moy que quand j'ay voulu revenir, que je m'étais arrangé depuis deux ans avec vous pour mon retour, et qu'enfin j'ay fait à Potsdam le siècle de Louis 14 pour me consoler d'être hors de France. Tout cela est un texte que votre éloquence fait valoir.
Si vous voyez monsieur Senac je me recommande à luy, il peut dire mieux qu'un autre combien mr Bagieu m'est nécessaire. Ma chère enfant ne songeons point à la Normandie je vous en conjure. J'aime Cideville de tout mon cœur mais il vous aime trop, et je ne veux point de la Normandie. Je vous aime comme je vous aimais dans la lettre du drap pagnon. Mon cœur sera toujours plein de vous, et si plein qu'il n'y entre pas autre chose. L'ange Dargental m'écrit une lettre charmante. On me mande de Paris qu'on explique au collège de Navarre la Henriade aux écoliers. Me voylà donc devenu autheur classique. Mais les autheurs classiques mes prédecesseurs n'ont pas tous été fort heureux. Je le suis moy puisque vous m'aimez. Bonsoir, mon adorable enfant.
V.