ce 25 [juillet 1753]
Je reçois votre lettre du 18 juillet ma chère enfant. Je ne suis pas étonné que vous ayez été bien reçue. Votre cause est celle des dames et des gens galants qui ne sauraient soufrir ce discours de M. Loyal:
Vous devez avoir été regardée comme l'héroine de l'amitié et sa martire. Pour moy je suis le martir de la nature qui me persécute beaucoup plus que la fortune. On peut aisément détourner son esprit des chagrins qu'on n'essuïe que de L'injustice des hommes. L'étude et le travail sont des remèdes sûrs. Je les ay toujours si heureusement employez que j'en ai trop méprisé mes traverses, et que je les ay comptées pour trop peu de chose. Mais il n'en est point du tout de même de la colique, et du commencement d'une hidropisie. Je me souviens que Rochebrune dans cet état, ne pouvait pas seulemen tfaire une chanson. Je m'achemineray à Plombieres dans deux ou trois jours sur votre parole, quoyque Chenevieres n'ait pu obtenir ce que vous aviez fait demander par luy. N'importe, je me fie à vous et à la lettre que m'a écritte monsieur de Baupré. Quant aux guenilles qui sont chez votre beaufrère, il n'y a qu'à les y laisser. Je suis fâché de la querelle de son ménage mais de quoy s'est il avisé aussi de maltraitter sa femme? Certainemt il a tort, et tout le monde le blâme. L'affaire de ses domestiques doit être assoupie. Ils auront entièrement volé votre ami Giraut. Les voleurs ne rendent rien, mais je luy conseille comme vous de se laisser plutôt voler que de courir inutilement après les voleurs. Je vous ay mandé que le valet de chambre de Lemeri avait écrit tout le contraire de ce que M. Lemeri a mandé à mr Veron. Ainsi c'est une affaire à la quelle il ne faut plus penser du tout. Quoyque Cherier y ait perdu 90 Louis d'un seul article, cependant il m'écrit qu'il préfère son repos, et l'envie de vous plaire à celle de se faire rendre son argent. Il est très affligé de ce que vous luy dites sur cet article, et il m'en fait ses plaintes dans sa lettre. Permettez moy de vous dire qu'il a raison de se plaindre, et qu'il faut un peu se mettre à la place des gens à qui l'on parle. Cherier dit que vous luy faites des reproches bien cruels et bien peu méritez, mais que son amitié pour vous, quoy qu'elle en soit offensée, n'en est ny moins vive ny moins tendre. Je ne suis pas surpris que Cherier vous soit attaché. Il connait comme moy la bonté de votre cœur.
Après vous avoir parlé des affaires des autres, permettez que je vous parle des miennes. Je vous répète que tout malade que je suis je m'arrange pour partir incessamment et sans délay. Je vais écrire à mr de st Romain J'ay écrit deux fois à mr Pagnon mais j'ay peur qu'il ne soit à Sedan. En ce cas vous recevriez mes lettres assez tard. Madame de Fontaines et votre frère me proposent d'aller passer quelque temps à Prangin. Je vous prie de leur dire combien je suis sensible à la part qu'ils ont prise à mon état. J'en suis très touché, et je leur en témoignerai ma tendre reconnaissance. Pour vous ma chère enfant soyez bien sûre que le peu qui me reste à vivre est à vous, et que la consolation de venir mourir dans vos bras, est la plus grande que j'espère.
V.