à Francfort au lyon d'Or, 7 juin 1753
Monsieur,
Ce matin le résident de Mayence, m'est venu avertir que la plus grande violence était à craindre, et qu'il n'y a qu'un seul moyen de la prévenir, c'est de paraitre appartenir à sa sacrée majesté impériale.
Ce moyen serait efficace, et ne compromettrait personne. Il ne s'agirait que d'avoir la bonté de m'écrire une lettre par la quelle il fût dit que j'apartiens à sa majesté, et que le dessus de la lettre portât le titre qui serait ma sauvegarde. Par exemple, à M. de .. chambellan de sa sacrée majesté, et on manderait dans le corps de la lettre que je dois aller à Vienne sitôt que ma santé le permettra.
Votre excellence peut être persuadée que si on avait la bonté de m'écrire une telle lettre, je n'en abuserais pas, et que je ne la montrerais qu'à la dernière extrêmité.
Je n'ose prendre la liberté de demander cette grâce mais si la compassion de votre excellence, si celle de leurs majestez impériales daignait condescendre à cet expédient, ce serait le seul moyen de prévenir un coup bien cruel. Ce serait me mettre en état de marquer ma sincère reconnaissance, et encor une fois on ne serait pas mécontent de m'entendre.
Mais monsieur s'il y a le moindre inconvénient aux partis que je propose avec la plus profonde soumission, et avec toutte la défiance que je dois avoir de mes idées, s'il n'y a pas moyen de prévenir la violence, je suis sûr au moins que votre Excellence me gardera un secret dont dépend ma vie. Je suis sûr que leurs sacrées majestés ne me perdront pas si elles ne sont pas dans le cas de me protéger.
En un mot Monsieur j'ay une confiance entière dans l'humanité et dans les vertus de votre Excellence, et quelque chose qui arrive, je serai toutte ma vie avec le plus profond respect,
Monsieur,
de votre Excellence
le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire