le 26 janvier 1753
J'arrive de Province, mon illustre et ancien ami; mon premier soin étoit de vous envoyer à mon ordinaire au commencement de l'année ce léger Tribut de Prose et de vers que, depuis 30 ans mon admiration et ma tendresse vous ont consacré: je ne trouvois à vous souhaiter qu'une vie étendüe pour joüir long temps des bontés du plus aimable des Princes et de vostre gloire; mais quelle est ma consternation! j'aprens que ce monarque, qui vous a tant aimé, pour qui vous avés tout quitté, que vous avés fait vostre maître, à qui vous avés sacrifié vos amis, vos parens, vostre Patrie, un climat plus doux, une vie libre, riche et délicieuse, fait vos malheurs, vous prive de sa présence, et vous oste la liberté de sortir de Berlin.
Je demande, les larmes aux yeux, les causes d'un changement si terrible; on me dit que le parti que vous avés pris pour un savant de Hollande contre Maupertui dans une querelle purement Littéraire en est la source.
Je veux de meilleures raisons et l'on ajoute que le Roy, blessé d'abord que vous vous fussiés déclaré contre le président de l'académie qu'il protège s'est irrité de la critique que vous avés faite depuis des autres ouvrages du mesme Président.
Quant à la critique de livres imprimés, il me semble qu'elle fut toujours permise, surtout quand on cite les articles qu'on reprend et qu'on ne les altère en aucune manière.
Quant au reproche qu'on fait à vostre Brochure d'estre un Libelle, j'avoüe que je n'ay pu le comprendre; on eût pu dire, ouvertement, de Maupertui, sans l'offenser, qu'il est le fils d'un négotiant de st Malo: est ce qu'il a voulu le cacher, et l'auroit'il pu? depuis quand le comerce, cette Richesse des Etats, est'il un opprobre? Vous avés laissé Entendre qu'il a eu quelqu'obligations à la faculté de Monpellier. Eh bien il a eu le sort des autres hommes, il a subi les misères ou les malheurs de l'humanité. On n'en est ny moquable ny moqué, on n'est qu'à plaindre.
Ces 2 seules personalités, si c'en est, qui ne blessent en rien l'honneur, constitüent'elles un libelle? Persone icy ne l'a cru; un libelle est un Ecrit qui révèle les crimes ou les défauts du coeur; voilà l'idée que nous en avons, voilà ce qui nuit à la société, ce qui trouble l'ordre, et ce qui est punissable.
Sans courir le risque d'avoir fait de ces ouvrages infâmes, vous pouviés, après avoir relevé les Erreurs phisiques et littéraires de Maupertui, vous égaÿer sur ses autres Ecarts. Aprés les sombres et constantes pratiques que Maupertui a employées en Prusse depuis deux ans pour vous perdre dans l'Esprit du Roy, vous pouviés vous resouvenir avec tout Paris du peu de regrets qu'il y laissa, malgré le dédain déplacé et la présomption ridicule qu'il mit à ce départ: il étoit public qu'il soulageoit l'académie des sciences des tracasseries éternelles qu'il y faisoit naître, et qu'elle se consola très aisément de cet abandon par la présence de deux ou trois de ses membres, qui étoient supérieurs en géométrie à Maupertui. Vous ne l'avés pas mesme voulu dire, et vous en estes plus estimable. On ne reconnoitra pas à cette délicatesse pour un Rival sans ménagement un faiseur de Libelles.
Espérés, mon cher ami; le Roy est pénétrant et juste. Il démeslera, à travers les ombres dont Maupertui les envelope, les intrigues, sa fureur de vous nuire, Le Roy aprendra qu'il inonde Paris de lettres ou plustost de libelles contre vous, il saura qu'il y suffit toutes les semaines malgré sa prétendüe agonie: il vous rendra sa faveur et ses bonnes grâces et vous serés vangé: le suplice de l'Envie est de voir triompher le mérite.
J'en crois trop la Renommée et les faits sur les vertus héroiques et sociales de vostre Prince, pour craindre pour vous; le Roy de Prusse n'oprimera point l'ami du Prince Royal: le grand Frédéric ne laissera partir que comblé de ses bontés et qu'avec promesse de retour le sublime Voltaire,
Vous estes libre, mon cher ami, venés dumoins nous revoir quelques momens: vos affaires le demandent, vostre santé l'exige, vos amis, vos Parens vous tendent les bras, vostre Patrie vous réclame, elle vous implore pour la préserver de retomber dans la Barbarie &c., le mauvais goust &c.