à Montpellier ce 27e octobre 1752
C'est ici mon cher Voltair que je reçoits votre letre du 3 de ce mois dont je voits que vous aviés chargé Mr le Baillif que je ne cognoits pas et qui a mits votre letre à la poste, contresignée à la vérité Dargenson.
Je ne prendrai jamais ce baillif pour mon comissionaire ni pour mon plénipotentiaire malgré le cours politique qu'il vient de faire. Quoiqu'il en soit j'ai reçu une de vos letres. J'en atendoits depuits longtems, mais je ne vous pardone pas de m'amuser come vous faites depuits aussi longtems de votre arrivée et de me remetre toujours d'une saison à l'autre sans ariver. Je vous ai mandé avec la plus grande vérité la joye que j'aurois de vous revoir, l'extrême désir que j'en avoits et combien je croyoits que vous me deviés cette satisfaction. Vous me l'avés promise, tenés moy donc parole et montrés vous à vos amis et à votre pays avec toute votre gloire et votre considération, avec des sentiments de patriotes et d'amitié pour ceux à qui vous en devés et que toute l'Europe voye que vous n'avés point déserté, que vous este respecté et aimé dans votre pays, que vous l'aimés encore, mais que vous aimés mieux le Roy de Prusse parcequ'il a fait tout ce qu'il faloit pour cela, ce qui peut s'accorder à merveille sans faire tort à persone. Mais vous en faite à tout le monde et à vous surtout en restant à Postdam et à refuser à vos amis la satisfaction qu'ils vous demande et moy qui vous aime depuits plus de trente cinque ans j'ai plus lieu de me plaindre qu'un autre. Je me plaints aussi que vous croyés que j'aye besoin d'esre exité pour dire et faire tout ce qui pouroit vous estre honorable ou utile sans en laisser échaper une seule occasion. Mais il y a sur cela plus de chose à vous dire qu'à vous écrire.
Je demandroits volontiers au président Henaut et à Mr Dargenson le manuscrit que vous avés envoyé, mais vous sentés combien de gens auront à passer devant moy, la précip[it]ation avec laquelle il faudra le rendre & j'aime mieux atendre la copie que vous en faite faire et l'impression car je croits qu'elle sera aussitôt faite. Je ne suis pas surprits qu'il y en ait eu dix du siècle de Louis 14 et je croits qu'il y en aura encore autant, car vous y changerés encore de ces minutie, qui ne peuvent diminuer ascurément la beauté de l'ouvrage mais dont le retranchement ou l'arrondissement le perfectionera davantage. Ce siècle vous a bien de l'obligation et la nation par conséquent car il avait besoin, malgré toute sa richesse et son abondance en touts genre, d'un peintre qui pût rassembler touts ces objets pour les faire passer à la postérité pour qu'ils fussent cognus. Il est inutil après cela de parler de celui ci, la comparaison ce fait à tout instant. C'est afligeant pour les contemporains mais ce que je trouve qui l'est davantage, c'est que l'existence des même chose subsiste et c'est trouvée tout d'un coup étoufée dans sa naissance. Je vous soutients que la marche du Roy en Allemagne, partant de Flandre est au dessus du Rhin et auroit eu de plus grande suite et auroit fait plus d'éclat ainsi que ses batailles, si la fatalité qui nous aresta à Mets n'avoit renverssé toute les fortunes de ce pays. Il semble qu'un enchanteur nous atendoit dans cette afreuse ville pour répendre tout d'un coup des poisons dans l'air et changer la face de notre univers. Je ne puis me rapeler ces cruels moments sans un serement de coeur dont je ne suis pas le maître.
Croyez mon cher Voltair que peu de circonstances pouvoient rendre ce siècle ci plus grand que celui de Louis 14 et vous doner plus de choses à embelir de votre pinceau. Il n'y faut plus penser, je l'avoue. Nous en somes à mille lieue et j'y auroits moins de regret si le mal eût été sans remède.
Je suis fort aise que vous viviés toujours avec Dargens dans la même intelligence. Il m'a paru vous aimer véritablement et vouloir toujours estre bien avec vous. Je vous prie de lui faire mille compliments et parler souvent de moy ensemble, mais mon refrain sera toujours de vous demander au nom de l'amitié la plus tendre de venir, j'entre d'année au per janvier. Je serai donc très sédentaire douze mois de suite et pourrai passer bien des heures avec vous. Venés donc, venés donc et ne me trompés plus. Mandés moy naturellement si j'y puits conter.
J'ai arrangé avant mon départ ce que Md Denis désiroit pour faire passer sa pièce qu'elle a fait racomoder, mais je doute, malgré cela, du succès.
Je serai à Paris le 15 décembre. Je vous conjure de m'y doner de vos nouvelles.