1752-04-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Lambert.

Je vous prie mon cher Lambert, non seulement de ne point faire venir d'exemplaires de la première édition de Louis 14, mais de vous servir autant que vous le pourez de votre crédit auprès des amis de Monsieur de Malzerbe pour empêcher qu'aucun libraire ne fasse entrer cette édition en France.
Elle est très fautive, et très incorrecte. Il manque plus de cinquante articles au catalogue raisoné des écrivains et des artistes qui terminent cet ouvrage. Il y manque une liste raisonnée des maréchaux de France. Il y a baucoup d'omissions, et même des erreurs considérables dans le corps de l'histoire. Cette première édition n'est enfin qu'un essay informe, et qu'un assemblage de matériaux qui demande du travail et du choix. Je reçois tous les jours des remarques et des instructions, et j'ay bientôt de quoy faire une édition plus complette et plus curieuse. Je compte la faire sous mes yeux parce que dans le cours même de ce travail je recevray chaque jour des remarques nouvelles dont je profiterai. La décence avec la quelle je me flatte d'écrire cet ouvrage ne nuira point à la curiosité qui sera assez piquée par le nombre considérable des choses intéressantes que j'y ajoute. J'ay écrit à Monsieur de Malzerbe pour le suplier d'écarter la première édition, que je juge indigne de paraitre. Mais ayant oui dire que vous pouviez faire entrer un assez grand nombre de volumes de cette édition informe que je réprouve, je vous prie de vous réserver pour L'édition correcte à la quelle je vais faire travailler. Mandez moy sans délay combien d'exemplaires vous en voulez. Je n'en feray tirer que ce nombre, et je vous adresserai les exemplaires. Chacun sera enfermé dans des feuilles d'une édition en sept volumes qu'on vient de faire de mes œuvres, desorte que tout le ballot ne paraissant être que le receuil de mes ouvrages déjà permis à Paris, il est probable que vous pourez aisément faire passer le tout. Vous pourez même à ce que je croi faire entrer la seconde édition du siècle de Louis 14 sans ce secours, mais si cette précaution d'enveloper le siècle dans les autres œuvres est nécessaire je la prendray volontiers. Mandez moy votre résolution sur tout cela, et ne m'envoyez jamais rien par la voye de Bruxelles. Voylà deux ballots de perdus. Si jamais vous avez quelque paquet à me faire tenir, adressez vous à M. Métra, correspondant des marchands de Berlin qui demeure rue st Martin ou rue st Denis. Je vous embrasse de tout mon cœur.

V.