1750-10-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

J'ay dit au roy madame que Talestris avoit grande envie de s'établir dans le pays d'Alexandre, que vous espériez même pouvoir engager messieurs vos enfans à entrer à son service, et vous ne doutez pas que je n'aye fait valoir comme je le dois une acquisition dont il m'a paru que sa majesté sentoit le prix.
Vous sentez madame que m'étant attaché à cette cour, j'en aime la gloire. Je voudrois que Berlin se ventât de vous posséder. Je voudrais que votre exemple y attirât une colonie entière. Jugez combien il seroit doux pour moy de vous faire ma cour à Berlin touttes les fois que le roy y viendroit. Mon intérest assurément est de vous voir fixée icy. Ne pouriez vous pas même avoir quelque maison de campagne entre Berlin et Potsdam? Vos amis viendroient vous y voir souvent. Vous vous partageriez entre la cour et eux. Voylà mon châtau en Espagne. Le roy va jeudy à Berlin, j'auray l'honneur de l'acompagner. Je descendray chez vous. Vous aurez vos paperasses touttes prêtes, je seray absolument à vos ordres, et j'espère que nous ne ferons pas de fausses démarches, et que nous n'en ferons pas de trop tardives. S'il est nécessaire que j'ameute un peu de monde, je vous assure madame que la chose ne sera pas difficile. Qui esce qui ne trouveroit pas des charmes à vous servir? Si les choses changeoient, si le roy n'alloit pas à Berlin je vous le manderois, et en ce cas vous m'enverriez une instruction avec vos papiers. Tenez tout prest. Il faut que jeudy ou vendredy votre affaire soit faitte. Ce sera un des beaux jours de ma vie de vous voir prendre un arrangement qui me mettra en état de passer une partie de ma vie à vos pieds

V.