ce 26 juin [1750]
Soiéz assuré mon cher monsieur, que soit que je veille, ou que je dorme, soit que je parle, ou reste dans le silence, soit que je vous écrive ou que je ne vous écrive pas, que vous ête toujours dans mon coeur, que je vous désir, et regrete sans saisse, que vous m'ête toujours présen, et tout ce qui vous intéresse.
Vôtre affaire de l'académie ne m'a point sortie de la tête, et je dois la justice à mr de Mairan qu'il en a été très aucupé. Voilà un petit papier si joint qui vous fera voir qu'il a suivi cette affaire avec exattitude. Luy, et vos amis, (et vous en avés beaucoup) désirroient que vous fissiés imprimer quelques choses. Cela fait une autorité auprès des ministres, à qui on ne peut pas parler assé long tems pour leur faire conoître le mérite, et l'esprit des personnes que l'on leur recommande. Un livre est plus tôt montré.
Comme j'ay vu, depuis qu'il est question de la place, que cela ce tournoit du côté de ce vilain médecin, et que vous n'aviés aucune démarche à faire, je n'ay pas forcé mes étourdissements, et mes aûtre calamités, pour vous dire des choses qui n'étoient pas préssée et que vous sçaviés peu[t]être d'ailleur. Mais je vous le répête soiés bien sûr que mr de Mairan, et moy ne perderons pas cela de vue. Il faut aussi que je vous dise que d'Alembert est fort de vos amis, et j'employe touts les miens. J'ay fait parler à mr Dargenson par son fils, et à son fils par mr Watelet, qui est son ami particulier. J'ay eu pour réponse qu'il faloit que le médecin passa. Mais à la fin j'espère que vous passerai aussi.
Dite moy si vous ête de la Sociêté roial. Vous ne m'avés pas dit du positif là dessu.
Voltaire, qui est plus fou que jamais, fait comme les pâtissier. Il mange les petits pâtés qu'il ne peut pas vendre. Il a une troupe à luy, pour jouer chez luy les piesses dont on ne veut point à la comédie. On a joué Rome sauvée chez luy, et à Sçaux. Il fait le rôle de Ciceron, mr de Tibouville fait celuy de Catilina, la piesse a des beautés, et pas le sens commun comme tout ce que fait Voltaire. Il est parti hier pour Berlin. On a joué hier à la comédie, une comédie de mde de Grafinie, auteur des lettres péruvienes. Elle a eu assé de succès. C'est une piesse en prose, en 5 actes, c'est un roman dialogué. Elle a le nom de l'héroïne, elle ce nome Cénie. Il faut attendre la 3 ou 4e réprésentations pour sçavoir sa valeur au juste. Les premières réprésentations sont toujours suspect, par les cabales pour, ou contre. Je vous l'envérai aussi tôt qu'elle sera imprimée.
La mort de cette peauvre Mde Boissier a êté pour vous un spectacle bien triste, vous aurai bien partagé la douleur de cette désolée famille. J'ay écrit dans les premiers jours un mot d'amitié à Mr de Lubiere, il a bien fait de ne me pas répondre, cela fait des déchirures nouvelle. Mais je vouderois sçavoir si il l'a reçu, comme il n'i avoit que deux mots qui n'étoient pas signé il ce peut, qu'il n'aist pas reconu mon griffonage. Vous seriés bien homme à être inquiet de ma santé, après le petit mot que je vous ay dit au commencement de cette lettre de mes étourdissement, et je ne suis pas femme à vous laisser dans l'inquiétude. Je vous dit donc que je me porte bien pour mon corp. Mais ma tête est toujours envelopé de brouillards qui ne m'ampêchant pas d'aller, et de venir, m'ôte la possibilité de m'apliquer et je suis sependant obligé d'arenger mes affaires, et mêtre des monceaux de papiers en ordre. J'ay des gens qui travaillent avec moy, mais il faut que je préside, et quand j'ay passé une matiné, je suis forcé d'être huit jours sans regarder un papier. Cela fait que je ne fini rien. Mais avec tout cela je me porte bien, et je vous aime, et vous embrasse de tout mon coeur.
Je dois une réponse à Mr Tronchin mais je ne la luy ferai que dans quelques jours. Vous deviés avoir le pas sur luy. Il y avoit mille ans que je ne vous avois rien dit.