1745-12-11, de Jean Jacques Rousseau à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Il y a quinse ans que je travaille pour me rendre digne de vos regards, et des soins dont vous favorisez les jeunes Muses en qui vous découvrez quelque talent: Mais, pour avoir fait la Musique d'un Opera, je me trouve, je ne sais comment, métamorphosé en musicien.
C'est, Monsieur, en cette qualité que M. le Duc de Richelieu m'a chargé des scènes dont vous avez lié vos Divertissemens de la Princesse de Navarre; il a même éxigé que je fisse dans les canevas les changemens nécessaires pour les rendre convenables à vôtre nouveau sujet. J'ai fait mes respectueuses réprésentations; M. le Duc a insisté, j'ai obéi; c'est le seul parti qui convienne à l'êtat de ma fortune. M. Ballod s'est chargé de vous communiquer ces changemens. Je me suis attaché à les réduire au moins de mots qu'il êtoit possible, c'est le seul mérite que je pouvois leur donner. Je vous supplie, Monsieur, de vouloir les éxaminer, ou plustôt d'en substituer de plus dignes de la place qu'ils doivent occuper.

Quand aux récitatifs, j'espère aussi, Monsieur, que vous voudrez bien les juger avant l'éxécution, et m'indiquer les endroits où je me serai écarté du beau et du vrai, c'est à dire, de vôtre pensée. Quelque soit pour moi le sucçès de ces foibles essais, ils me seront toûjours glorieux, s'ils me procurent l'honneur d'être connu de vous, et de vous montrer l'admiration et le profond respect avec lesquels j'ai l'honneur d'être,

Monsieur,

Vôtre très humble et très obéissant serviteur,

J. J. Rousseau