1749-11-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Anne Louise Bénédicte de Bourbon-Condé, duchesse Du Maine.

Ma protectrice,

Il n'y a pas d'aparence que les nouvaux chagrins qui m'arrivent me permettent d'être aux ordres de votre altesse sérénissime mercredy prochain.
On m'a volé à Lunéville la tragédie de Sémiramis, la petite comédie de Nanine, plusieurs autres manuscripts, et ce qui est cent fois plus cruel l'histoire de la dernière guerre que j'avois écritte avec vérité quoyque par ordre du roy. Tout cela est imprimé en province, plein de fautes absurdes, d'omissions, d'additions, de tout ce qui peut déshonorer les lettres et un pauvre autheur. Je suis forcé d'être à Fontainebleau pour tâcher d'arrêter le cours de ces misères. Je me flatte que votre altesse sérénissime non seulement me pardonne mais daigne entrer dans ma peine avec sa bonté ordinaire. Son Catilina ne s'en trouvera pas plus mal. La petite fille du grand Condé trouvoit la place assez tenable, mais elle y verra à mon retour de nouvelles fortifications, et, puisqu'elle a été bâtie par ses ordres j'espère qu'elle résistera aux assauts des barbares. Ah madame que les petits barbares sont en grand nombre! que ce malheureux siècle a besoin de vous! Mais c'est moy qui en ay le plus grand besoin. Il faut que je combatte sous vos étendarts. Me voylà comme les anciens héros qui devoient purger la terre de monstres avec le secours des déesses.

Je suis avec le plus profond respect et un attachement sans bornes,

madame,

de votre altesse sereni͞me,

le très humble et très obéissant serviteur,

Voltaire