1750-06-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Anne Louise Bénédicte de Bourbon-Condé, duchesse Du Maine.

Ame du grand Condé,

Il n'y a pas moyen de reculer, et il faut absolument que je parte demain à cinq heures du matin.
Je me trouve une espèce d'héroisme dans le cœur puisque j'ay le courage de partir après la lettre de ma protectrice. Ce voiage est devenu un devoir indispensable, et ce n'est que parce qu'il est devoir, que j'ose résister à vos bontez, à vos raisons et à mon cœur.

Quoy que je n'ayes guères de moments dont je puisse disposer, il faut commander au temps. Quand ma protectrice parle, il y a trop de plaisir à luy obéir. Eh bien madame j'auray fait touttes mes affaires à six heures, j'attendray vos ordres, et votre voiture, je viendray me jetter à vos pieds, je viendray chercher de nouvaux sujets de regrets mais aussi ce sera pour moy une consolation bien flatteuse de partir rempli de L'idée de vos bontez, et du bonheur d'avoir vu encor Louise de Bourbon. Je luy diray que je luy suis plus attaché qu'à tous les rois du nord, mais je luy soutiendray que son rival le roy de Prusse qui ne la vaut pas est pourtant un homme admirable.

Pourvu que je sois de retour à Paris à onze heures du soir je suis aux ordres de ma protectrice.

V.