1749-10-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

S'il n'y avoit à Paris que votre maison j'aurois volé, mon cher et respectable amy, et ma mauvaise santé ne m'auroit pas retenu.
Mais je vous avoue que j'ay craint la curiosité de bien des personnes qui aiment à empoisonner les playes des malheureux et j'ay baucoup redouté Paris. Il falloit absolument mes chers anges mettre un temps entre le coup qui m'a frappé, et mon retour. Permettez moy de ne partir que mercredy prochain, et d'arriver à très petites journées. Je ne peux guères faire autrement parce que je voiage avec mon équipage. Mais mon dieu que la santé de madame Dargental m'inquiette! Cela est bien long! J'admire son courage, mais son état me désespère. Me voicy à Reims mais mon cœur, qui va un autre train que moy, est avec vous, il est dans votre petite maison d'Auteuil. Je vous embrasse tous mille fois, je vais me mettre au lit, car je ne me porte pas trop bien. Je suis bien content que vous le soyez un peu plus de L'ouvrage de ma nièce, mais je serois désolé qu'elle se mît dans le train de donner au public des pièces médiocres. C'est le dernier des métiers pour un homme, et le comble de l'avilissement pour une femme. Adieu encor une fois, la consolation de ma vie. Mille tendres respects à toutte votre société, mais que madame Dargental, qui en fait le charme, se porte donc mieux!

V.

Je n'ay point reçu votre lettre à St Dizier. J'étois alors à la campagne chez m.l'évêque de Châlons. Votre lettre doit m'estre renvoyée à Paris.