1760-03-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg.

Votre santé m'inquiette baucoup madame, mais si vous avez le bonheur d'avoir encor auprès de vous Monsieur votre fils, j'attends tout de ses soins.
Ce qu'on aime fait bien porter. Je prends mes mesures autant que je peux pour avoir encor la consolation de passer quelques journées auprès de vous, mais je suis devenu un si grand laboureur, un si fier masson que je ne sçais plus quand mes bœufs et mes ouvriers pouront se passer de moy. Nous laisserons vous et moy madame ce monde cy aussi sot, aussi méchant que nous l'avons trouvé en y arrivant. Mais nous laisserons la France plus gueuse et plus vilipendée. Voylà encor ce pauvre capitaine Turot gobé, luy et son escadre et ses gens. La mer n'est pas du tout notre élément, et la terre ne l'est guères. Il est dur de payer un troisième vingtième pour être toujours battus.

On dit qu'il se forme de petits orages à la cour qui pouront bien retomber sur la tête d'une personne que vous aimez, et à la quelle je suis attaché. Rien ne vous surprendra. Votre machine a donc pris une plume et de l'encre! Il y a long temps que je suis persuadé que nous ne sommes que de pauvres machines. Mais quand je vous écris c'est mon cœur qui prend la plume. Je m'intéresse à votre santé avec la plus vive tendresse, et j'espère vous faire ma cour dans votre jardin cet été.