1749-07-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

Votre majesté m'a ramené à la poésie.
Il n'y a pas moyen d'abandonner un art que vous cultivez. Permettez que j'envoye à votre majesté une épître un peu longue que j'ay faitte avant mon départ de Paris pour une de mes nièces qui est aussi possédée du démon de la poésie. Vous y verrez sire la vie de Paris peinte assez au naturel. Celle qu'on mène à Postdam auprès de votre majesté est un peu différente et j'attends vos ordres pour jouir encor de l'honneur que vous daignez me faire. Sain ou malade, il n'importe. Je vous ay promis que je partirois dès que madame du Chastelet seroit relevée de couche. Ce sera probablement pour le milieu de septembre ou au plus tard pour la fin. Ainsi je ferai bientôt pour voir mon Auguste un voyage un peu plus long que Virgile n'en faisoit pour voir le sien. J'aporteray à vos pieds tout ce que j'ay fait, et vous daignerez me faire part de vos ouvrages. Après cela je mourrai content, et je pouray bien me faire enterrer dans votre église catholique. Un anglais fit mettre sur son tombeau, Cy gist l'amy du chevalier Sidney. Je feray mettre sur le mien, Cy gist l'admirateur de Federic le grand.

Il n'y a pas longtemps qu'un prince en lisant une nouvelle édition qu'on vient de faire de votre antimachiavel fut fâché de ce que vous y dites de Charles 12. Il a beau faire, dit il en colère, il ne l'effacera pas. On lui répondit, Charles 12 a été le premier des grenadiers, et le Roy de Prusse est le premier des rois.

Croyez sire que mon entousiasme pour vous a toujours été le même, et que si vous étiez roy des Indes je ferois le voiage de Lahor et de Dely. Croyez que rien n'égale le profond respect et l'éternel attachement de

V.