à Cirey en Champagne ce 5 may 1748
Monsieur,
Quoyque le mois d'avril soit passé sans que vous m'ayez fait l'honneur de me donner de vos nouvelles, je ne doute pas que vous ne remplissiez vos engagements, et je me flatte que vos lettres de change sont en chemin.
Monsieur et madame du Chastellet, comptant sur votre parole d'honneur, avoient remis leurs créanciers au premier may, et ces créanciers avoient accepté ma parole que je leur avois donnée, comptant absolument sur la vôtre. Vous voyez monsieur dans quel embarras extrême vous me jetteriez si contre toutte attente vous ne remplissiez pas la parole d'honneur que j'ay de vous, et que je préfère toujours aux transactions que nous avons signées. Je vous suplie de vouloir bien peser les conséquences du silence que vous gardez, et de l'inexécution de vos promesses. Il se peut faire que le siège de Mastrict vous ait jetté dans quelque difficulté au sujet de L'argent, mais monsieur vous savez qu'on se contentoit pour le présent de la moitié de la somme, et vous devez prévoir qu'après la prise de Mastrict vous essuierez peutêtre de plus grandes contrariétez. Vos terres alors se trouveront sous la domination du Roy, et les conséquences d'un refus de payement vous deviendroient probablement funestes. C'est ce que mon zèle pour L'assoupissement de cette affaire, et pour votre maison me force de vous représenter. Je suis persuadé que vous y ferez une attention sérieuse et que vous me saurez gré de la liberté avec la quelle je vous dis la vérité. Je peux vous assurer que Mr de Raesfelt et moy nous avons rendu un très grand service à votre maison, et que sans exagérér, nous en avons empêché la ruine.
Monsieur et madame du Chastelet seroient bientôt en état de recommencer ce dangereux procez dans le quel tous vos gens d'affaires vous avoient trompé, et dont vous aviez déjà perdu tous les incidens. Tirez vous pour jamais monsieur de ce labirinthe, et croyez que je ne cherche que la paix et la justice en vous parlant ainsi. Je vous suplie de me donner à Paris une réponse positive. Je ne doute pas que vous n'ayez reçu ma précédente adressée à Ruremonde, mais pour plus de sûreté, j'adresse celle cy à mr de Raesfelt. Il est garant comme moy de votre parole, et je suis sûr qu'il ne s'en repentira pas. C'est avec ces sentiments monsieur, et avec tout le zèle possible pour votre service que j'ay l'honneur d'être
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire