ce mercredy au soir [13 January 1751]
Monseigneur,
Je ne peux m'empêcher dans l'horreur ou je suis de dire à V. E. qu'il n'y a pas de milieu.
Si le billet du 19 décembre n'est pas datté, aprouvé, signé de la main du juif, je suis un faussaire, un scélérat punissable. Je ne crois pas qu'il y ait rien au monde de plus visible que son parjure. Je m'en raporte a vos yeux. La ressemblance parfaitte des signatures du juif, la liberté des traits ne sont pas équivoques. Je vous suplie de parafer ne varietur une pièce si importante. Le crime de Hirshell peut me comprometre dans toutte l'Europe. Trois écrivains après tout peuvent se tromper. Plus il y en aura, plus le crime sera avéré. Le juif vient d'hériter de baucoup d'argent comptant, il sait les noms des experts que vous avez nommez, il est capable de tout. Jugez de luy par le trait d'affirmer qu'il a jetté à terre un billet décisif, et un billet de 3000 écus. Jugez en par le refus qu'il a fait de reconnaitre ses diamants, par L'imposture reconnue avec la quelle il affirmoit que je luy avois arraché une bague du doit, par L'audace insensée avec la quelle il prétend qu'il a écrit une obligation au bas d'une page, laissant tout le haut en blanc à la discretion de son adversaire, par l'artifice avec le quel il a fait laisser jusqu'à présent ma lettre de change à Paris sachant que je devois y aller, et comptant que j'y serois obligé de la payer, par le troisième tireur. A t'on jamais accumulé plus de délits? Moy encor une fois accusé du crime de faussaire par un jüif! Voyla le cas d'être un peu vif.
Au nom de dieu ayez de luy le plus de signatures qu'il sera possible. Voila un des cas des plus singuliers qui soient arrivez sous votre administration. Pardonnez moy ma juste sensibilité.
Je suis avec respect
Monseigneur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire