1751-01-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Graf Samuel von Cocceji.

Monseigneur,

Vous ne voulez plus recevoir de nouvaux mémoires sur mon affaire avec le juif.
Je ne vous fatigueray plus. Mais je croi que votre excellence me permettra d'avoir l'honneur de luy écrire.

Vous savez que le juif Hirshell a osé affirmer que je l'avois forcé à me donner une bague, que je luy avois pris cette bague au doigt, qu'il avoit été outragé par moy, qu'il avoit jetté dans la chambre un billet décisif et important devant un nommé le sr Vigne, et devant le nommé Picart. Le nommé Picar l'a déjà confondu, et quand votre excellence voudra faire paraître le sr Vigne, il le confondra de même.

Hirshel est donc déjà convaincu de parjure. Il ose ensuitte nier sa propre écriture, quoy qu'elle soit très aisée à reconnaître. La datte, les derniers chifres, le mot aprouvé sont de sa main. Il ne faut que des yeux pour voir son horrible parjure.

Il ose dire encor que les premières lignes de ce billet du 19 décembre ne sont pas de ma main. Il ose rejetter sur moy son crime. Qui ne voit que tout le billet est de ma main? Il est visible que j'ay écrit avec une méchante plume et qu'il a signé avec une meilleure. Ce qui fait que son nom est écrit plus coulamment que ce qui est de ma main. Cela arrive tous les jours. Votre excellence poura quand elle voudra confronter tout. J'écriray vingt pages pareilles à celles du billet en question du 19 décembre. On verra que c'est la même main. Qu'il écrive son nom plusieurs fois aussi vite, que l'on confronte touttes ses signatures avec celle de ce billet du 19 Xbre, il ne sera pas possible de s'y tromper. Moy contrefaire son écriture! quelle horreur! mais aussi quelle justice ne doi je pas attendre?

Touttes ses réponses ne sont elles pas d'un coupable? pourquoy ose t'il nier le billet du 27 Décembre qu'il a certainement entre les mains?

Pourquoy ose t'il dire qu'il a écrit une obligation au bas d'une page blanche? un enfant ne feroit pas cette faute. Un juif la fera t'il?

N'est il pas évident que c'est un nouveau parjure? n'est il pas clair que cette obligation du 24 Xbre est entièrement relative à ce qui est de ma main au haut de la page? Enfin monseigneur votre équité pèsera touttes ces raisons. Je sçai que le juif a des protecteurs puissants, je sçai que les diamants ne sont point à luy, je sçai ses liaisons secrettes avec le sr Recklam, et je récuse le sr Recklam pour examinateur. J'accepte tous les autres que votre excellence voudra nommer.

Et je la suplie surtout de considérer que si ma lettre de change ne m'est pas rendue je suis exposé à être en prison dans touttes les villes de mon passage. Enfin monseignr je me suis mis entre vos mains. Je ne me serois pas compromis avec un juif sans de puissantes raisons.

Je suis avec respect,

de votre excellence,

le très humble et très obéisst serviteur

Voltaire